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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/589

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« J’ai vu avec douleur, écrit-il le 7 septembre, que Meyners, dans le compte rendu d’un voyage de Ludwig à Surinam, loue l’auteur, plus qu’il ne le blâme, d’approuver le commerce des esclaves. Ce misérable n’a pas honte de dire que la Bible prescrit le commerce des esclaves, et il ajoute : Un homme peut être le frère d’un autre homme en Christ, et être corporellement son esclave. » Et ce sont ces distinctions, c’est cette casuistique de prêtre que Meyners laisse passer. La Gazette de Gœttingue est le véhicule qui répand dans le public l’approbation de ces principes monstrueux. Il y a longtemps que je n’ai été aussi indigné. »

Allons ! l’impatience de la bataille le gagne. Il sent qu’il ne sera pas le maître de ses colères, et c’est pour respirer à l’aise et dissimuler son inquiétude d’esprit, autant que pour assister de plus près à l’éruption du volcan, qu’il s’échappe vers la Belgique, l’Angleterre, la France. Il veut voir, interroger le grandiose phénomène qui commence à émouvoir l’Europe. Et ce qu’il aime tout de suite, ce qu’il salue dans la Révolution, c’est l’expansion des forces.

Cet homme se mourait d’étouffement et de resserrement. Ah ! que les cercles innombrables et étroits où un despotisme mesquin tient captive la force de production comme la force de pensée éclatent enfin ! Que toutes les poitrines se dilatent et que toutes les facultés donnent leur mesure !

« Partout et toujours, écrit-il d’Aix-la-Chapelle dès les premiers jours de son voyage, le développement économique a été inséparable de la liberté civile, et a duré autant qu’elle. En Portugal, l’activité économique ne pouvait être qu’un phénomène accessoire de l’esprit de conquête, et elle devait, étant contrainte et artificielle, disparaître bientôt dans les ténèbres du despotisme catholique et de la discorde politique. Dans l’oligarchie allemande, elle a lutté merveilleusement contre les obstacles terribles du barbare système féodal, et elle se heurte seulement à la multiplicité de frontières et d’États que nous a léguée le moyen âge et qui grève toute opération marchande. Malgré la déplorable disposition géographique, il y a un fait qui témoigne de l’influence de la liberté sur le commerce de notre patrie : c’est la prospérité de Hambourg et de Francfort, et la chute de Nuremberg, d’Aix-la-Chapelle et de Cologne. »

Est-ce que la bourgeoisie allemande ne le comprendra pas ? Est-ce qu’elle ne fera pas alliance avec les penseurs courageux pour briser toutes ces entraves et pour imposer au monde, qui adore encore sottement l’oisiveté titrée et le despotisme stérilisant, le respect de la bourgeoisie productive ? Les manouvriers aussi trouveraient leur compte à cette activité nouvelle. On dirait que Forster s’essaie, sous l’apparence scientifique et calme de déclarations d’ordre économique, à rédiger le manifeste révolutionnaire de l’Allemagne du travail contre l’Allemagne des princes et des prêtres.

« De ce point de vue, le grand marchand, dont les spéculations embras-