Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/598

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« L’industrie française trouvera toujours son marché, même si la France n’a aucune possession extérieure. Le manufacturier français est plus économe et plus laborieux, tout au moins aussi laborieux que l’anglais ; il peut donc livrer ses marchandises à meilleur marché. »

Ainsi, Forster entre de plus en plus dans les intérêts de la France, et jusque dans le calcul de ses forces. Il admire le discours de Brissot contre la Maison d’Autriche. Il le trouve substantiel et décisif. Il est gagné, lui aussi, par l’énervement belliqueux de la Gironde. Il accuse, il dénonce les prêtres, les princes, les nobles d’Allemagne qui rendent la guerre inévitable. Mais, au fond, il est si exaspéré par la nuée bourdonnante des émigrés, par les vantardises et les fanfaronnades de tout le monde dirigeant d’Allemagne, il a aussi une telle impatience d’échapper à la lourde incertitude de l’heure présente qu’il souhaite que la foudre éclate, écrasant les vaniteux, nettoyant l’espace. Et il est de cœur avec les révolutionnaires français qui ont de la vigueur et de l’audace. C’est contre les Jacobins que déclament les rois, les ministres, les privilégiés, les journalistes et libellistes de cour. C’est pour les Jacobins que Forster prend parti…

«…J’avoue volontiers, écrit-il le 5 juin 1792 à Heyne dont il cesse de ménager les inquiétudes, que je suis plutôt pour les Jacobins que contre eux. Sans eux, la contre-révolution aurait éclaté dans Paris, et l’ancien régime, aurait été entièrement rétabli. Ce ne sont pas eux, c’est la reine qui met tout le jeu aux mains de la Prusse et de l’Autriche. Si l’on ne veut pas perdre tout ce qui a été conquis, il faut que les Jacobins agissent comme ils font. La collusion entre le cabinet secret (des Tuileries), les émigrés et les Cours étrangères ne peut être frappée d’impuissance que par des moyens audacieux et qui découvrent à tous combien est intolérable et faussé l’état présent des choses en France. Tous les liens sont dissous et doivent l’être, si on ne veut pas porter de nouveau les vieilles chaînes. La Cour ne songe qu’à sa splendeur et à son despotisme d’autrefois. Tout peut crouler pourvu qu’elle se dresse sur les ruines. Les puissances étrangères peuvent à leur gré dépecer la France, pourvu que le morceau réservé à la Cour soit décidément sous le joug. Mais ce plan même reste en suspens. Les émigrés le savent bien, et n’ont point d’embarras à dire qu’ils sont trompés par la Prusse et l’Autriche. Entre les trois grandes puissances toutes les conventions sont remaniées. L’impératrice (de Russie) partage la Pologne, au lieu d’envoyer ses troupes en France ; la Prusse aura sûrement sa part. L’Autriche et la Prusse cherchent à prendre la Flandre française, l’Alsace et la Lorraine. Elles n’iront pas dans leur marche beaucoup plus loin. Que l’on pousse devant soi les républicains comme un troupeau de moutons ; il faudra bien cependant qu’ils se ramassent quelque part, et qu’ils livrent le combat du désespoir, dont on laissera sans doute porter surtout le poids aux émigrés. Ceux-ci ne seront admis à agir que lorsque les puissances seront en possession des provinces françaises convoitées.