Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/603

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« Nous sommes des républicains comme vous. Nous allons créer la République des pays du Rhin, et nous allons joindre nos armes aux vôtres pour révolutionner toute l’Allemagne. Quand nous y aurons réussi, nous nous incorporerons à la République allemande comme nous étions incorporés à l’Empire allemand. Et la nouvelle République allemande sera l’alliée, la sœur cadette de la République française. »

Oui, mais cette grande politique était doublement impossible. D’abord l’esprit des Mayençais eux-mêmes ne s’y prêtait guère. Ils subissaient en vérité les événements plus qu’ils n’y participaient, et il aurait fallu au contraire, pour qu’ils prissent l’initiative d’une sorte de croisade révolutionnaire en Allemagne, qu’il y eût une grande force d’enthousiasme. De leur passivité résignée, complaisante ou défiante, on ne pouvait attendre aucun élan. Et d’autre part, il n’était guère permis d’espérer que l’Allemagne se prêtât à un mouvement révolutionnaire. Ah ! que Forster dut souffrir d’être obligé de se l’avouer de nouveau à cette heure décisive ! Il écrit à propos des manifestations révolutionnaires de Mayence :

« La situation de l’Allemagne, le caractère de ses habitants, le degré et la particularité de sa culture, le mélange des constitutions et des législations, en un mot sa situation physique, morale et politique lui ont imposé un développement lent et graduel, une lente maturation. Elle doit devenir sage par les fautes et les souffrances de ses voisins, et peut-être recevoir de haut une liberté que d’autres conquièrent d’en bas par la force et d’un coup. »

Ainsi Forster n’a pas foi dans l’Allemagne, et il est si convaincu de l’impossibilité, de la folie de tout mouvement révolutionnaire d’ensemble que même le zèle de quelques Mayençais l’inquiète, parce qu’il semble déborder sur l’Allemagne. Ce n’est que dans les pays du Rhin, et sous l’influence immédiate de la France voisine, que la liberté peut être établie tout de suite et le gouvernement populaire organisé. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’il ne faut pas lier le sort des pays du Rhin à la destinée de l’Allemagne. On ne pourra violenter l’Allemagne pour lui faire accepter d’emblée les principes auxquels se rallient les pays du Rhin, et on ne peut maintenir les pays du Rhin dans la servitude ou dans une demi-liberté, en attendant que toute l’Allemagne ait accompli sa lente évolution.

Mais les pays du Rhin, ainsi séparés de l’Allemagne trop routinière et trop pesante, pourront-ils se défendre seuls et sauver leur liberté ? Il n’y a pour eux qu’un moyen de salut. C’est d’entrer dans la grande France républicaine et libératrice ; c’est de s’unir à elle. C’est, d’emblée, la politique de Forster. Dès les premiers jours, c’est l’annexion à la France de toute la rive gauche du Rhin qu’il préconise. Dès le 27 octobre, six jours à peine après l’entrée de Custine à Mayence, il écrit au libraire Voss, à Berlin :

« La République française ne semble pas devoir abandonner Mayence. Une société de la liberté s’est fondée sous les auspices du général et la popu-