Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/604

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lation laissée à elle-même paraît disposée toute entière à se jeter, comme la Savoie, dans les bras de la République. Seulement, les gens ont les yeux fixés sur ceux au jugement desquels ils ont confiance et qui ne se sont pas encore déclarés. Je me suis jusqu’ici tenu sur la réserve, mais cette neutralité est fâcheuse : la crise oblige à prendre parti. L’exemple de la France a montré ce que serait partout le sort des émigrés, et l’esprit révolutionnaire, éveillé par la destruction totale des armées alliées, agit si puissamment, comme on devait le supposer, que tout est à craindre pour la Constitution allemande, si on ne détache pas pacifiquement et si on ne cède pas de bonne grâce les parties de l’Allemagne qui sont devenues décidément démocratiques. Heureusement pour l’Allemagne, le Rhin est là. Il doit former la limite, qui sépare de l’Allemagne le territoire de la République. Ce serait folie si on songeait encore aux vieux rêves d’intangibilité et d’indivisibilité de l’Empire. Tout est perdu, si on veut tout ressaisir. L’exemple du pouvoir royal en France suffit à le prouver. La contagion s’étendra sans cesse, si on n’achète pas, coûte que coûte, une paix qui permette aux puissances de se rendre maîtresses de leurs sujets. À peine même peut-on espérer cela maintenant, après la faute si grave de l’expédition en France. Les soldats, les bourgeois et les paysans sont mécontents, et l’honneur perdu des premiers ne se peut consoler que par cette parole : qu’il est impossible de lutter contre la liberté. C’est ce qu’a montré l’Amérique et aussi la France. Qu’on ne m’objecte pas la Hollande et le Brabant : ces pays combattaient, non pour la liberté, mais pour l’aristocratie. En Italie tout tremble devant les progrès de la République française. Je le tiens de la bouche de voyageurs dignes de toute confiance. La Catalogne attend le premier signal. La Hesse et la Souabe vont de leur désir impatient au-devant des libérateurs. Coblentz est français dans trois jours. Courtrai en Flandre est réoccupé par La Bourdonnaye, et Dumouriez soumettra sans doute avant le nouvel an toute la Belgique autrichienne. La toute puissance de la Russie en Pologne est fâcheuse pour le roi de Prusse et l’empereur d’Autriche, et elle exige tout leur effort de résistance. Tout demande la paix avec la France par le seul sacrifice des évêchés de Trêves et de Mayence. »

Mais quoi, est-on tenté de se demander : quel jeu joue donc Forster ? Et s’il est vrai que la Constitution allemande est à ce point ébranlée ou menacée par l’esprit révolutionnaire, s’il est vrai que la Hesse, la Souabe, bientôt sans doute les autres États appellent la République française et la Révolution, pourquoi, lui, l’homme de liberté, renonce-t-il d’emblée à révolutionner l’Allemagne ? Et comment va-t-il jusqu’à dire que la paix est nécessaire pour arrêter l’ébranlement de la Révolution, pour permettre aux pouvoirs constitués de maintenir l’ordre ancien ? Forster serait-il assez égoïste et assez vil pour acheter, par l’abandon et le sacrifice de toutes les espérances révolutionnaires de l’Allemagne, le plaisir d’aller, comme citoyen français de Mayence,