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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/674

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toute loi tendant à leur donner de nouveaux rivaux dans le marché national, si les premiers animaient leurs soldats comme ceux-ci excitent leurs ouvriers pour les porter à des outrages et à des violences contre ceux qui proposent de semblables règlements, il serait aussi dangereux de tenter une réforme dans l’armée, qu’il est devenu maintenant d’essayer la plus légère attaque contre le monopole que nos manufacturiers exercent sur nous. Ce monopole a tellement grossi quelques-unes de leurs tribus particulières que, semblables à une immense milice toujours sur pied, elles sont devenues redoutables au gouvernement, et dans plusieurs circonstances même, elles ont effrayé la législature. Un membre du Parlement qui appuie toutes les propositions tendant à renforcer ce monopole est sûr, non seulement d’acquérir la réputation d’un homme entendu dans les affaires de commerce, mais d’obtenir encore beaucoup de popularité et d’influence dans une classe de gens à qui leur nombre et leur richesse donnent une grande importance. Si, au contraire, il combat ces propositions, et surtout s’il a assez de crédit sur la Chambre pour les rejeter, ni la probité la mieux reconnue, ni le rang le plus éminent, ni les services publics les plus distingués ne le mettront à l’abri des outrages, des insultes personnelles, des dangers même que susciteront contre lui la rage et la cupidité trompée de ces insolents monopoleurs. »

Mais si Adam Smith ne croît pas à la possibilité de briser l’égoïsme du monopole et d’instituer l’entière liberté du commerce, il croit, du moins, que l’heure est venue pour l’industrie anglaise de s’en rapprocher. Je n’ai pas à discuter ici les thèses d’Adam Smith. Je n’ai pas à me demander si tout le système de protection dont l’acte de navigation de Cromwell est l’expression suprême a contrarié le développement de l’Angleterre, ou si, au contraire, comme l’affirme List, c’est lui qui a porté l’industrie anglaise à ce degré de force où elle pouvait, sans péril et même avec profit, pratiquer une méthode nouvelle et briser les barrières qui la séparaient du marché universel. Mais ce qui est sûr, c’est qu’Adam Smith, en qui le grand esprit de système était tempéré par des connaissances très précises et très vastes, n’aurait pas proposé à l’industrie anglaise cette politique de liberté, de concurrence et d’expansion, s’il n’en avait senti la force et l’élan.

Il ne veut pas brusquer le passage du régime de protection et de réglementation au régime du libre échange, mais le préparer avec prudence.

« L’entrepreneur d’une grande manufacture, qui se verrait obligé d’abandonner ses travaux parce que les marchés du pays se trouveraient tout d’un coup ouverts à la libre concurrence des étrangers, souffrirait, sans doute, un dommage considérable. Cette partie de son capital qui s’employait habituellement en achat de matières premières et en salaires d’ouvriers, trouverait peut-être, sans beaucoup de difficulté, un autre emploi. Mais il ne pourrait pas disposer, sans une perte considérable, de cette autre partie de son capital, qui était fixée dans ses ateliers, et autres instruments de son com-