Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/709

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cés même dans leur existence, et, en tout cas, obligés souvent à s’expatrier. Quand le système des manufactures s’appliqua dans le Yorkshire, en 1794, à la fabrication des draps, « journaliers et petits maîtres luttèrent unanimement d’abord pour résister à la nouvelle forme d’industrie capitaliste, qui commençait à leur enlever le contrôle du produit de leur travail  ».

Mais comment les ouvriers, les salariés auraient-ils pu revendiquer énergiquement contre leurs maîtres le droit de coalition, comment auraient-ils pu engager contre eux une vigoureuse action de classe au moment où ils liaient partie avec eux pour la défense commune d’une forme d’industrie menacée par le capitalisme ? Aussi bien, en chaque industrie, les ouvriers, façonnés par le système du moyen âge, et pénétrés autant que les maîtres de l’esprit de restriction, de corporation, de privilège et de monopole, faisaient cause commune avec ces maîtres toutes les fois qu’ils croyaient un de ces monopoles menacés. C’est ainsi, comme l’a observé Adam Smith, que très souvent les maîtres provoquaient un soulèvement de leurs ouvriers pour empêcher toute mesure qui aurait restreint leur privilège, en permettant, par exemple, la concurrence des produits étrangers.

Enfin, la loi des pauvres, la loi du domicile et du certificat avaient pour effet de cantonner la classe ouvrière anglaise, de la sectionner.

« La gêne que les lois des corporations, écrit Adam Smith, apportent à la libre circulation du travail est, je pense, commune à tous les pays de l’Europe, celle qui résulte des lois sur les pauvres est, autant que je puis le savoir, particulière à l’Angleterre. Elle vient de la difficulté qu’un homme pauvre trouve à obtenir un domicile (settlement), ou même la permission d’exercer son industrie dans une autre paroisse que celle à laquelle il appartient. Les lois des corporations ne gênent que la libre circulation du travail des artisans et ouvriers de manufacture seulement ; la difficulté d’obtenir un domicile gêne jusqu’à la circulation du travail du simple manœuvre… Lors de la destruction des monastères, quand les pauvres furent privés des secours charitables de ces maisons religieuses, après quelques tentatives infructueuses pour leur soulagement, le statut de la quarante-deuxième année d’Élisabeth régla que chaque paroisse serait tenue de pourvoir à la subsistance de ses pauvres, et qu’il y aurait des inspecteurs des pauvres établis annuellement, lesquels, conjointement avec les marguilliers, lèveraient, par une taxe paroissiale, les sommes suffisantes pour cet objet.

« Un statut imposa à chaque paroisse l’obligation indispensable de pourvoir à la subsistance de ses pauvres. Ce fut donc une question importante de savoir quels étaient les individus que chaque paroisse devait regarder comme ses pauvres. Après quelques variations, cette question fut enfin décidée dans les treizième et quatorzième années de Charles II, où il fut statué qu’une résidence non contestée et ininterrompue de quarante jours ferait acquérir le domicile dans une paroisse, mais que, pendant ce terme, deux juges de paix