Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/716

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marchandises produites par des quantités égales de travail se seraient naturellement échangées l’une contre l’autre…

« Mais cet état primitif dans lequel l’ouvrier jouissait de tout le produit de son propre travail ne put pas durer au delà de l’époque où furent introduites l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux. Il y avait donc longtemps qu’il n’existait plus, quand la puissance productrice du travail parvint à un degré considérable, et il serait sans objet de rechercher plus avant quel eût été l’effet d’un pareil état de choses sur la récompense ou le salaire du travail.

« Aussitôt que la terre devient une propriété privée, le propriétaire demande pour sa part presque tout le produit que le travailleur peut y faire croître ou y recueillir. Sa rente est la première déduction que souffre le produit du travail appliqué à la terre.

« Il arrive rarement que l’homme qui laboure la terre possède par devers lui de quoi vivre jusqu’à ce qu’il recueille la moisson. En général, sa subsistance lui est avancée sur le capital d’un maître, le fermier qui l’occupe, et qui n’aurait pas d’intérêt à le faire s’il ne devait pas prélever une part sur le produit de son travail. Ce profit forme une seconde déduction sur le produit du travail appliqué à la terre.

« Le produit de presque tout autre travail est sujet à la même déduction en faveur du profit. Dans tous les métiers, dans toutes les fabriques, la plupart des ouvriers ont besoin d’un maître qui leur avance la matière du travail ainsi que leurs salaires et leur subsistance, jusqu’à ce que leur ouvrage soit tout à fait fini. Ce maître prend une part du produit de leur travail ou de la valeur que le travail ajoute à la matière à laquelle il est appliqué, et c’est cette part qui constitue son profit. »

De même qu’il ne voile pas l’origine du profit capitaliste, Smith ne voile pas l’antagonisme du capitaliste et du salarié.

« C’est par la convention qui se fait habituellement entre ces deux personnes, dont l’intérêt n’est nullement le même, que se détermine le taux commun des salaires. Les ouvriers désirent gagner le plus possible, les maîtres donner le moins qu’ils peuvent ; les premiers sont disposés à se concerter pour élever les salaires, les seconds pour les abaisser. »

Et dans cette lutte, la permanente et tacite coalition patronale a naturellement l’avantage.

À ces causes sociales de dépression des salaires s’ajoutent des causes économiques. La loi de l’offre et de la demande avilit le prix du travail quand le travail est offert en trop grande abondance, et comme les hauts salaires, en encourageant le mariage et la reproduction de la force de travail, tendent à accroître l’offre de travail, ils tendent par là même à se convertir en moindres salaires. C’est ce que dit Smith dans le passage que Lassalle oppose aux économistes et où il a cru trouver la première affirmation de la loi d’airain.