Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/745

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soudaine et la fantaisie d’une génération d’idéologues. Elle est la sublime révélation et la sublime mise en œuvre des richesses sociales et intellectuelles accumulées par l’effort des bourgeois industrieux et des penseurs hardis. Burke se moque, ou il atteste un incroyable manque de sens historique, lorsqu’il prétend que la France avait, en 1789, des éléments de liberté traditionnelle qu’elle pouvait mettre en valeur à la mode anglaise.

« Vous auriez pu, si vous l’aviez voulu, profiter de notre exemple et donner à votre liberté recouvrée une dignité correspondante. Vos privilèges, quoique discontinués, n’étaient pas effacés de la mémoire. Votre Constitution, il est vrai, pendant que vous en étiez dessaisis, a souffert la dévastation et le pillage ; mais vous possédiez en quelques endroits les murailles, ailleurs les fondations. »

Burke oublie que Turgot avait essayé cette reconstruction et cette adaptation et qu’il avait été chassé. Il oublie que les Parlements n’avaient pu exercer leur antique droit de remontrance. Il oublie que les assemblées provinciales étaient demeurées sans effet, que l’assemblée des notables avait été une conspiration du privilège contre le droit et que les États Généraux avaient été jetés dans les voies révolutionnaires par les perfidies et les violences de la Cour. Ou bien fallait-il que, sous prétexte de retrouver les anciennes fondations et d’utiliser les débris des vieilles murailles, le Tiers-État acceptât le vote par ordre qui livrait tout aux privilégiés ?

C’est la méthode de Burke qui est abstraite et chimérique, puisqu’elle prétend appliquer de vive force à la France un procédé d’évolution qui ne convenait à cette date qu’à l’Angleterre.

Il est très vrai que les Anglais avaient « des droits » successivement conquis. Et cela, à certains égards, est plus sûr qu’une Déclaration générale et de principe des droits de l’homme et du citoyen. Mais la France n’avait d’autre moyen, pour conquérir les droits précis et substantiels, qu’une affirmation souveraine du droit de la personne humaine. C’est cet idéalisme seul qui était pratique.

Si la critique de Burke était vaine pour la France, elle était vaine aussi pour l’Angleterre, car il ne s’agissait point, pour celle-ci, de renoncer brusquement à sa méthode traditionnelle d’évolution lente et de prudente adaptation. La vraie question était : Ne convient-il pas d’introduire dans la Constitution anglaise, sans la briser, plus d’éléments de démocratie ? Et l’avènement du régime démocratique et de la souveraineté nationale en France ne doit-il pas avoir pour conséquence de donner au système anglais un mouvement plus rapide dans le sens populaire ? Après tout, l’Angleterre aussi avait eu des crises ; et il n’était pas pleinement contraire aux lois de sa vie d’accélérer son évolution. Il dit des droits de l’homme :

« Ces droits métaphysiques entrant dans la vie commune, comme des rayons de lumière qui percent dans un milieu dense, sont, par les lois de na-