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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/773

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pas les joies qui leur viennent de la nature et les joies qui leur viennent de l’homme : c’est une même espérance matinale, c’est une même aube splendide et fraîche qui se lève sur les lacs et sur les cités, c’est un tendre paysage infini, où la douceur des villages éveillés à la liberté se fond dans la douceur des horizons éveillés à la joie, c’est parfois aussi la même rumeur puissante des forêts et des foules, et, sous le grand vent qui se lève, le même frisson de l’innombrable feuillage et de l’innombrable peuple.

« Ô nuages, s’écrie Coleridge dans son Ode à la France, vous qui flottez ou vous endormez bien haut au-dessus de moi, vous dont la marche en des chemins non frayés n’est dirigée par aucun mortel, et vous, vagues de l’Océan, qui, partout où vous roulez, ne reconnaissez d’autres lois que les lois éternelles, vous aussi, forêts qui écoutez, inclinées sur vos pentes douces, les chants nocturnes des oiseaux, sauf quand vous-mêmes, du mouvement impérieux de vos rameaux, vous faites la musique solennelle du vent, oui, vous tous, flots retentissants, et vous, hautes cimes des bois, et toi, soleil levant, et toi aussi, étoile à la vive étincelle bleue, et toute chose qui est et veut être libre, témoignez pour moi de quel cœur profond j’ai toujours adoré l’esprit de la divine liberté :

« Quand la France en courroux souleva ses membres géants, et, avec un serment qui émut l’air, la terre et la mer, frappa de son pied puissant et jura qu’elle voulait être libre, soyez témoins combien j’ai espéré et craint ! Avec quelle joie je chantai ma haute acclamation, sans peur, parmi une troupe d’esclaves ! Et quand, pour accabler la nation libérée, comme des démons réunis par le bâton d’un sorcier, les monarques marchèrent en un jour maudit, et que l’Angleterre se joignit à leur troupe cruelle, bien que ses rivages et l’océan qui l’entoure me fussent chers, bien que maintes amitiés et maints jeunes amours aient gonflé en moi l’émotion patriotique, et jeté une lumière magique sur nos collines et sur nos bois, cependant ma voix, sans trembler, chanta, prédit la défaite à tout ce qui bravait la lance des hommes libres. Oui, j’ai prédit un déshonneur trop longtemps différé et une retraite inutile. Car jamais, ô Liberté ! je n’ai, dans un intérêt étroit, obscurci ta lumière ni affaibli ta flamme sacrée ; mais j’ai uni mes chants aux chants d’allégresse de la France délivrée, et j’ai penché la tête, et j’ai pleuré sur le nom de l’Angleterre. »

Ainsi, cet amour de la liberté, quoiqu’il semblât pris aux forces flottantes des choses et aux sources incertaines, n’était ni vague ni déraillant ; il ne tombait pas soudain, comme parfois tombe le vent aux heures lourdes du jour. Ces jeunes hommes qui, aux premiers jours de la Révolution, ont accumulé en silence les émotions, les espérances et les rêves, ne craindront pas, même quand l’Angleterre se joindra contre la France à l’Europe monarchique coalisée, de heurter le sentiment national, et de souhaiter tout haut, eux Anglais, la défaite de l’Angleterre, la victoire de la liberté. Il y a là la fière