Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/779

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui traversait la salle, et s’arrêtant au pied de la tribune, dit : «  Moi, Robespierre, je t’accuse. » On connaît bien l’issue peu glorieuse de cette attaque. On sait comment celui qui avait lancé ce terrible trait de foudre, le seul homme audacieux dont la voix avait sonné l’assaut, fut abandonné sans compagnon et sans soutien dans l’accomplissement de son périlleux devoir, et se retira en gémissant que le meilleur secours du ciel se dépensât en vain pour des hommes qui se manquaient à eux-mêmes.

« Mais de ces choses je parle, parce qu’elles furent dans ma pensée personnelle ou des orages, ou des éclaircies de soleil, pas pour autre chose. Laissez-moi dire maintenant comment le plus profond de mon âme était agité lorsque je vis que la liberté, la vie et la mort seraient bientôt, dans les coins les plus reculés du pays, à la merci de ceux qui dirigeaient la capitale, quel était l’objet de la lutte et par quels combattants la victoire serait remportée ; l’indécision du parti qui avait le but le meilleur, et la marche toute droite de ceux qui étaient forts, malgré leur impiété dans l’attaque et dans la défense. Ah ! comme je priais alors pour qu’à travers toute la terre, chez tous les hommes, la raison, par un client exercice, devînt digne de la liberté ! que tous les esprits, pleins de zèle, s’ouvrissent à la lumière sainte du vrai !

« Ainsi tomberait le poison des langues mauvaises ; ainsi des quatre coins du monde affluerait vers la France une force bienfaisante, qui lui permettrait d’accomplir ce que sans secours elle ne pouvait réaliser : une œuvre toute pure. Ne croyez pas que j’aie ajouté à cette prière un vœu de salut ; car, j’étais aussi exempt de doute et d’inquiétude sur la fin des choses que les anges le sont du péché.

« Mais je m’affligeais de tout le mal mêlé à l’inévitable progrès des événements ; je cherchais un moyen de le combattre et d’y remédier. Et moi, étranger insignifiant et obscur, mal doué d’ailleurs du pouvoir de l’éloquence même dans ma langue natale, tout à fait impropre au tumulte et à l’intrigue, j’aurais voulu cependant de tout cœur, à ce moment, assumer pour une aussi grande cause un service même dangereux. Je me disais combien de fois le destin de l’homme a dépendu de quelques personnes ; qu’il y avait, au dessus du patrimoine local une seule nature humaine comme il y a un seul soleil dans le ciel ; qu’ainsi les objets même les plus grands pouvaient tomber le rayon des yeux les plus humbles ; que l’homme n’est faible que par sa défiance et son défaut d’espoir, alors que pourtant le témoignage divin lui signifie qu’espérer est encore la chose la plus sûre. »

Ainsi Wordsworth s’efforçait de dominer ce cauchemar de septembre qui hantait ses nuits, pour garder sa sérénité d’espérance. Il aurait voulu, au péril de sa vie, épurer la Révolution de toute violence. Mais, dans ses violences mêmes, elle restait pour lui une promesse d’humanité : noble cœur qui ne fléchissait pas sous ses propres tendresses. Rappelé en Angleterre à la fin de 1792, il tente de nouer à la générosité de la Révolution française la générosité