Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/843

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vailleurs le capital de production, répandre peu à peu sur tous la richesse et l’éclat.

On se demande parfois, en lisant Godwin, s’il ne serait pas tenté d’arrêter tout ce mécanisme de production, tant ses effets présents sur la condition de la plupart des hommes lui apparaissent funestes. Il semble attiré, à certaines heures, par une sorte de simplicité primitive et de communisme pseudo-spartiate. Le travail a pris, dans les sociétés modernes des formes si repoussantes, il est si iniquement exploité, que c’est le travail même que Godwin, en son âpre critique socialiste, semble vouloir éliminer (comme l’ont fait parfois d’ailleurs certains disciples authentiques ou prétendus du marxisme) :

« Ce qu’il y a de plus désirable, dit Godwin, pour la société humaine, c’est que la quantité de travail manuel, de labeur corporel, et particulièrement cette part de travail qui n’est pas le résultat d’un libre choix, mais qui est imposée à un homme par la nécessité de ses affaires, soit réduite dans les limites les plus étroites possibles. Qu’un homme puisse jouir d’un certain bien-être, même banal, si ce bien-être n’est pas accessible à un autre membre de la communauté, cela est mauvais, absolument parlant. Tous les raffinements du luxe, toutes les inventions qui tendent à donner emploi à un grand nombre de mains laborieuses (à une grande quantité de main-d’œuvre), sont directement opposés à la propagation du bonheur. Chaque taxe additionnelle imposée au pays, chaque nouveau canal ouvert aux dépenses des ressources publiques, à moins que cela ne soit compensé (ce qui est rarement le cas) par un retranchement équivalent sur le luxe des riches, sont autant d’ajouté à la masse générale d’ignorance, de besogne écrasante et de labeur. Le gentleman de campagne qui, en nivelant une éminence ou en introduisant une nappe d’eau dans son parc, trouve de l’ouvrage pour des centaines de pauvres industrieux, est ennemi, et non, comme on l’imagine communément, ami de l’espèce humaine. Supposons que, dans un pays, il y a maintenant dix fois plus d’industrie et de travail manuel qu’il y a trois siècles. Sauf pour ce qui est nécessaire à entretenir une population accrue, cette main-d’œuvre est dépensée pour les plus coûteuses fantaisies des riches. Bien peu est employé à accroître le bonheur et le bien-être des pauvres. C’est à peine s’ils subsistent aujourd’hui. et il faut bien qu’ils aient subsisté aux temps reculés dont je parle.

« Ceux qui, par fraude ou par force, ont usurpé le pouvoir d’acheter et de vendre le travail de la grande masse de la communauté, sont assez disposés à prendre soin que cette masse ne puisse jamais faire plus que subsister. Un objet d’industrie ajouté ou retranché au stock général produit une différence momentanée, mais les choses retournent vite à leur état antérieur.

« Si chaque travailleur de la Grande-Bretagne pouvait et voulait aujourd’hui doubler la quantité de son travail, il pourrait, pour un temps court, tirer quelque avantage de la masse accrue des commodités produites. Mais les riches