Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/102

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présentants, juger leur opinion, peser leurs motifs et démêler leur intention ! » Ce témoignage spontané et immédiat du Journal de Brissot aurait dû suffire à écraser la légende.

Circonstance remarquable : c’est Mailhe qui donna le premier son opinion, l’appel nominal se faisait, comme on sait, par département, et par ordre alphabétique de département. Quand un département avait voté dans un appel nominal le premier, au scrutin suivant l’appel commençait par le département suivant. Ainsi, à un premier appel nominal on commençait par l’Ain ; à un second appel nominal on commençait par l’Allier et ainsi de suite. Au moment où s’ouvrit dans le procès de Louis XVI la série à jamais fameuse des quatre appels nominaux, on en était au commencement de la lettre G. au département du Gard. Il aurait donc fallu commencer le premier appel par le Gard, le second par la Haute-Garonne, le troisième par le Gers. etc. Avant l’ouverture du quatrième scrutin, le procès-verbal spécifie que le secrétaire, Osselin, « se conforme à l’usage observé par la Convention, qui est de suivre, pour chaque appel nominal, l’ordre alphabétique des départements, afin que successivement chacun ait l’avantage d’opiner et de voter le premier ».

Or, j’observe que dans les deux premiers scrutins cette règle ne fut pas suivie. On commença bien par le Gard le premier appel nominal, celui sur la culpabilité du roi, mais au second, sur l’appel au peuple, au lieu de passer au département immédiatement suivant et de commencer par la Haute-Garonne, on commença encore par le Gard. Ce fut très probablement pure inadvertance. Ou bien les secrétaires de la séance du 14 pensèrent-ils que, pour une même séance, le même ordre d’appel pouvait être maintenu ? Pensèrent-ils même qu’il devait être maintenu pour toute la série des votes relatifs à un même objet général, ici au jugement de Louis XVI ? Des esprits très soupçonneux et sans doute fort téméraires pourraient conjecturer aussi que si les secrétaires de la Convention, très dévoués à la Gironde, donnèrent deux fois de suite le premier tour au Gard, c’est afin que dans le troisième vote, celui sur la peine, la Haute-Garonne pût opiner la première, et que Mailhe pût agir sur toute la série des votes en posant d’emblée la question du sursis. En tout cas, il me paraît probable que, si au troisième vote, les secrétaires revinrent à la règle qu’ils paraissaient avoir oubliée et s’ils appelèrent d’abord la Haute-Garonne, ce fut sur l’intervention de ceux des Girondins qui étaient dans le secret de la combinaison Mailhe. On pressentait que les votes pour et contre la mort s’équilibreraient à peu près. Si donc à ceux qui rejetteraient la mort s’ajoutait un certain nombre de Conventionnels qui, tout en la votant, indiqueraient la nécessité d’un sursis, on pouvait mettre la mort en échec.

Mais pour cela, il ne fallait pas perdre une voix. Il fallait que l’exemple donné par Mailhe pût produire tout son effet sur tous les députés. Il fallait