Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/12

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la Convention nationale le juge elle-même ? Est-il nécessaire ou convenable de soumettre le jugement à la ratification de tous les membres de la République, réunis en assemblées de communes ou en assemblées primaires ? »

Voilà les questions que pose Maillié au début de son rapport préliminaire du 7 novembre et que le comité de législation avait « longuement et profondément agitées ». À vrai dire, ce long débat était assez vain. Comment s’arrêter un moment à la thèse de l’inviolabilité royale ? Sans doute, la Constitution déclarait la personne du roi inviolable, et elle ne rendait responsables que les ministres. Ou bien, pour certains actes déterminés, elle constatait que le roi « était censé avoir abdiqué », et elle prononçait sa déchéance. Mais toute cette procédure constitutionnelle suppose que la Constitution elle-même n’est pas atteinte dans la racine. Si la faute du roi, si sa trahison même ne mettent pas la nation et la liberté en péril mortel, si la royauté peut survivre au roi, alors, oui, c’est selon la Constitution que le roi doit être jugé, puisque la Constitution demeure. Mais si le roi, par une longue conspiration, a ruiné la Constitution elle-même, si, par sa connivence avec l’étranger armé pour la détruire, il l’a presque frappée à mort, si la juste colère excitée par son crime a obligé le peuple exaspéré et défiant à une Révolution nouvelle, comment appliquer au roi une Constitution dont, par sa faute, il ne reste plus rien ?

En fait, depuis le Dix-Août, la France était, non à l’état constitutionnel, mais à l’état révolutionnaire. La suspension du roi et son internement au Temple étaient des actes révolutionnaires. La Convention elle-même était une assemblée révolutionnaire, puisqu’elle n’avait pas été convoquée en vertu de la Constitution de 1791, et puisqu’elle avait reçu du peuple des pouvoirs illimités comme la Révolution. C’était donc manifestement en assemblée révolutionnaire qu’elle devait juger, et il était assez étrange que l’on discutât là-dessus.

Elle était visiblement le seul tribunal révolutionnaire ayant qualité pour juger. Remettre le jugement à un jury formé de deux jurés par département, que les corps électoraux auraient choisis, eût été un dangereux enfantillage. C’eût été une parodie des formes ordinaires de la justice, car ce jury n’aurait pu, en une question où la vie même de la nation était engagée, échapper aux mouvements passionnés de l’opinion, et aux indications, aux suggestions impérieuses de la Convention elle-même. Cet acte de jugement était, par excellence, un acte de souveraineté, puisque tout le destin de la liberté et de la patrie y était attaché. C’était donc le souverain, c’est-à-dire la nation elle-même représentée à la Convention, qui devait juger. Il n’y avait plus de Constitution, puisque celle de 1791 avait été abolie et que la nouvelle n’était pas formulée encore.

Dans cet intervalle entre les Constitutions, il ne restait plus qu’un pouvoir : la nation, ou plutôt tous les pouvoirs revenaient à elle comme à leur