Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/13

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source. C’est précisément parce que la Convention n’avait pas un mandat purement judiciaire, mais un mandat politique, un mandat total, qu’elle devait juger : car il était impossible de séparer le jugement de Louis XVI du jugement d’ensemble porté sur l’état politique et social de la France. C’eût été démembrer la souveraineté et la diviser mortellement contre elle-même que de détacher, du pouvoir politique total qu’exerçait la Convention, le jugement du roi où la vie politique totale de la nation était enveloppée. Et qu’on n’objecte pas que la nation était à la fois juge et partie, et que cela est contraire à toute justice. Quand un roi a trahi une nation, où trouver, dans cette nation même, un citoyen qui ne soit pas à la fois juge et partie ?

« Faudra-t-il donc, s’écriait un Conventionnel, chercher des juges dans une autre planète ? »

Il serait étrange que la nation fût désarmée de son droit de juger par l’immensité même du crime qui, en blessant toute conscience et toute vie, retire à tout un peuple et à tous les individus de ce peuple la vulgaire impartialité du juge. En ce sens, ce n’est pas seulement à la Convention, c’est à la nation tout entière que de Sèze aurait pu dire : « Je cherche en vous des juges et je ne trouve que des accusateurs ». Mais ces paroles ne sont terribles que pour Louis XVI qui, en trahissant tout un peuple, obligeait tout un peuple à être à la fois accusateur et juge.

Mais, dès lors, n’y aurait-il pas eu plus de franchise à frapper et à ne pas juger ? C’est ce que disent à la fois, par une curieuse rencontre, Kant et Robespierre. Kant considère que la Révolution aurait eu le droit, par exemple au Dix-Août, de frapper le roi, comme on frappe un ennemi dans le combat, mais que prétendre le juger, en substituant un droit nouveau au droit ancien, c’était une dérision.

« Et moi, s’écria Saint-Just dans son discours du 13 novembre, je dis que le roi doit être jugé en ennemi ; que nous avons moins à le juger qu’à le combattre… Je dirai plus : c’est qu’une Constitution acceptée par un roi n’obligeait pas les citoyens ; ils avaient, même avant son crime, le droit de le proscrire et de le chasser. Juger un roi comme un citoyen, ce mot étonnera la postérité froide. Juger, c’est appliquer la loi. Une loi est un rapport de justice : quel rapport de justice y a-t-il donc entre l’humanité et un roi ?… Le procès doit être fait à un roi non point pour les crimes de son administration, mais pour celui d’avoir été roi, car rien au monde ne peut légitimer cette usurpation, et de quelques illusions, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer. Elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier. …On ne peut point régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »

C’est un sophisme. Car si Saint-Just ne fait pas abstraction de l’histoire