Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/123

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tive ; que la persuasion et la vérité président à leur mission ; que la force et l’autorité ne puissent être déployées que contre les factieux qui s’opposeraient à la volonté générale, mais qu’elles respectent le vœu du peuple. Si le système contraire prévalait, qui pourrait calculer les suites funestes d’une guerre déclarée à un peuple puissant et courageux, exalté par le fanatisme, dans le temps où nous avons à dompter et ses propres tyrans et tous les tyrans de l’Europe !Ce n’est point le moment, si je ne me trompe, de recommencer avec les Belges cette lutte pénible et sanglante que nous avons eu à soutenir contre nos propres prêtres, fût-il vrai que le nouveau combat ne dût pas être plus sérieux que le premier. Mais que l’on considère la différence du peuple français et du peuple brabançon, que l’on considère les causes particulières à la France qui avaient avancé parmi nous l’opinion sur les affaires religieuses et celles qui l’ont retardée dans la Belgique ; que l’on considère l’empire de leurs préjugés politiques appuyés par leurs préjugés religieux, et l’on sentira la nécessité de montrer, dans cette grande affaire, autant de prudence que d’énergie. À notre arrivée à Bruxelles, nous fûmes reçus avec des transports de joie par le peuple ; pourquoi ces dispositions ont-elles changé ? Il importe d’en approfondir la cause ; elle nous fournira peut-être une leçon utile pour régler notre conduite.

« Nous allons entrer en Hollande, il ne faut donc pas laisser derrière nous un peuple ennemi ou mécontent. Comment pourrons-nous déployer toutes nos forces contre le stathouder et ses alliés, s’il faut les employer à contenir la Belgique ?

« Il faut aussi prendre les mesures nécessaires pour nous concilier la bienveillance des Bataves. C’est ici qu’il faut réaliser la manière de faire la guerre au gouvernement, mais non au peuple. Or pour choisir ces moyens, il faut considérer la situation particulière des peuples de cette contrée. Ici nous ne trouverons pas les obstacles que la superstition oppose, dans la Belgique, aux progrès de nos principes ; mais nous y rencontrerons l’aristocratie des richesses, le culte de l’or et l’esprit mercantile. Nous y trouverons un très grand parti, plus disposé à renverser le trône stathoudérien qu’à chérir d’abord les principes de l’égalité. Il n’est même pas prouvé que les sans-culottes bataves soient aussi avancés dans la connaissance de leurs droits, et aussi jaloux de les exercer que ceux de Paris et de la France entière. On sait même que le peuple de la Haye a été un des plus fermes appuis de la puissance du stathouder. D’après ces données, la saine politique doit nous conseiller, ce me semble, de commencer par renverser l’empire stathoudérien, de concert avec le parti qui lui est opposé, de publier nos principes de liberté, de fraternité universelle, et de laisser au surplus la nation batave maîtresse de délibérer sur la nouvelle Constitution qu’elle voudra se donner, en nous contentant de l’éclairer par nos instructions et par nos exemples, et de faire avec elle une alliance solide et utile aux deux peuples. »