Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi Robespierre reprenait le langage qu’il avait tenu au printemps de 1792. Il signalait l’insuffisante préparation des peuples à la Révolution, et il voulait que la France tînt le plus grand compte de leurs préjugés ou religieux ou mercantiles. À vrai dire, c’était sous des formes discrètes, le désaveu complet du décret du 15 décembre, dû à la dangereuse initiative de ce même Cambon qui avait proposé la suppression du budget des cultes, et qui, selon Robespierre, ameutait partout, en Belgique comme en France, les prêtres et les croyants contre la Révolution.

Robespierre, de septembre à janvier, a évidemment manqué de courage. Serré de près et menacé par la Gironde, il n’a pas voulu recommencer la difficile prédication de paix, de prudence, de modération qu’il avait risquée six mois plus tôt. Il n’a pas osé, dans l’éblouissement de Valmy, de Jemmapes, de la Savoie, reprendre le rôle de censeur morose. Et il a laissé, par ménagement de sa popularité et de son repos, des fautes irréparables peut-être s’accomplir.

Maintenant encore, sous l’apparente précision des derniers conseils relatifs à la Hollande, la pensée reste vague. Que veut-il, en somme, que l’on fasse en Belgique ? Là est le point délicat. On ménagera les préjugés catholiques du peuple, c’est entendu. On ne pèsera pas sur lui pour en faire une démocratie toute révolutionnaire et laïque. À la bonne heure. Mais va-t-on annoncer au monde que la France évacuera la Belgique aussitôt qu’elle ne sera plus contrainte de l’occuper par des nécessités d’ordre purement militaire ? La conclusion nette, logique, de la pensée de Robespierre serait de dire à la coalition, et en particulier à l’Autriche :

« Nous ne voulons pas plus révolutionner les Pays-Bas que nous ne voulons révolutionner le reste du monde. Nous sommes prêts à faire la paix, et à évacuer la Belgique même, à la seule condition que vous reconnaîtrez la République française et que vous n’interviendrez point par la force dans les délibérations du peuple belge rendu à lui-même, et se donnant librement un gouvernement de son choix et une Constitution à sa mesure. »

Oui, voilà l’application précise des principes de Robespierre. Mais pas plus qu’il n’osa combattre le décret du 15 décembre qui heurtait toutes ses conceptions, mais qui enivrait le génie révolutionnaire de la France, il n’osa donner une conclusion nette aux prémisses posées par lui. Il n’était certes pas incapable, à certaines heures décisives, de sortir des formules vagues, et même bien souvent ces formules très générales servent chez lui à couvrir une politique précise. Mais souvent aussi il se réservait, il ne se compromettait pas à fond, et il gardait le droit de tirer parti des événements, quels qu’ils fussent, pour sa popularité et son influence.

Ce qu’il est curieux de noter, ce qui prouve que Robespierre, s’il eût été moins préoccupé de lui-même, et moins absorbé par sa lutte contre la Gironde, aurait pu, dans les premiers mois de 1792, donner à la politique exté-