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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/128

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« Je dis que c’est en vain qu’on veut faire craindre de donner trop d’étendue à la République. Ses limites sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes des quatre points de l’horizon, du côté du Rhin, du côté de l’Océan, du côté des Alpes. Là doivent finir les bornes de notre République, et nulle puissance au monde ne pourra nous empêcher de les atteindre. »

Quelques semaines après, Carnot, dans son rapport du 11 février sur la réunion de la principauté de Monaco, et d’une partie du bailliage de Schambourg, adjacent au département de la Moselle, faisait écho aux paroles de Danton : « Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; les parties qui en ont été démembrées ne l’ont été que par usurpation : il n’y aurait donc, suivant les règles ordinaires, nulle infraction à les reprendre : il n’y aurait nulle ambition à reconnaître pour frères ceux qui le furent jadis, et à établir des liens qui ne furent brisés que par l’ambition elle-même. »

Il est vrai que Carnot ajoute aussitôt : « Mais, ces prétentions diplomatiques, fondées sur les possessions anciennes, sont nulles à, mes yeux comme à ceux de la raison. Le droit invariable de chaque nation est de vivre isolée, s’il lui plaît, ou de s’unir à d’autres si elles le veulent, pour l’intérêt commun. Nous Français, ne connaissant de souverains que les peuples eux-mêmes, notre système n’est point la domination mais la fraternité. » Comment, en cas de conflit, se concilierait la conception des limites naturelles avec le droit révolutionnaire de tous les groupements humains à rester indépendants ? Ni Carnot, ni Danton ne se le demandent, et, à vrai dire, le problème est insoluble. Mais il leur paraissait que, dans les limites naturelles indiquées par eux, il ne se poserait pas. Tous les peuples compris entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées demanderaient spontanément à faire corps avec la France. Danton savait que, si cet agrandissement territorial devait effrayer les puissances de l’Europe, en revanche il les rassurait contre l’expansion indéfinie de la propagande. La France révolutionnaire irait jusqu’à ce qu’elle appelait ses limites naturelles, c’est-à-dire, en fait, qu’après avoir incorporé la Savoie et Nice, elle incorporerait les pays allemands cis-rhénans, la Belgique et une partie de la Hollande. Mais au delà, son action cessait. Une agitation révolutionnaire illimitée se précisait et se fixait en un agrandissement révolutionnaire et national, mais défini et limité. Carnot, comme pour entrer dans toute la pensée de Danton, démontrait que la France avait le droit de refuser les demandes d’annexion qui se produiraient, quand ces annexions auraient pour effet de déformer la France, de la pousser hors des barrières naturelles qui devaient la protéger. Et c’est au nom du droit national, c’est au nom de la souveraineté nationale que Carnot marquait des limites à l’entraînement et à la sollicitation révolutionnaires des peuples. Les peuples n’avaient pas de droit sur la France : ils n’avaient pas le droit de s’unir à elle malgré elle. Il