Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/127

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aussi vaste. Dès le 21 janvier, le jour même de la mort de Louis XVI, il faisait appel à la concorde, et donnait l’assurance que lui-même saurait soumettre à la raison l’énergie de son tempérament.

Il veut, lui aussi, être un homme d’État, non pas boudeur et timide, non pas à côté de la Révolution, mais en pleine action révolutionnaire. Voilà sa politique intérieure ; et au dehors il veut, après avoir fait sentir aux tyrans la force de la France, limiter l’expansion dangereuse et indéfinie de la propagande révolutionnaire. Pas de faiblesse ; pas de négociations prématurées. Les rois refusent de reconnaître la République française : elle leur répond par le plus terrible défi : « elle leur jette le gant, et ce gant c’est une tête de roi. » En Belgique, la situation est inextricable. Si l’on pèse sur le peuple belge pour lui imposer, en vertu du droit de conquête, une constitution démocratique dont son fanatisme s’alarme, il se soulèvera. Si l’on se retire, en laissant aux Belges le soin de choisir eux-mêmes leur Constitution et de fixer leurs destinées, ils élimineront les démocrates, et ils allumeront tout près de la France un foyer de fanatisme catholique dont le rayonnement pourra être dangereux. Il est impossible que la France laisse la Belgique à elle-même : il est impossible aussi qu’elle la gouverne du dehors. Il n’y a donc qu’une solution : c’est de l’annexer, c’est de l’incorporer à la France. Ainsi les complications de la politique de propagande armée aboutissaient à la politique de conquête. Il est vrai que Danton se flattait d’obtenir un vote favorable de la Belgique elle-même, des demandes d’annexion. Mais que valaient ces votes, rendus sous la pression de la Révolution armée ? C’était la rupture complète avec la politique de la Constituante, qui avait répudié toute conquête. Au demeurant, Danton ne cachait pas qu’il n’avait pas seulement en vue l’application vigoureuse de la Révolution à un peuple disputé entre des forces contraires, mais qu’il se proposait l’agrandissement de la France.

Il formulait la théorie des limites naturelles, théorie de droit national et non de droit révolutionnaire, ou plutôt il essayait de confondre le droit révolutionnaire et le droit national. Le 31 janvier, le jour même où la Convention « accepte le vœu librement émis par le peuple souverain du ci-devant comté de Nice réuni dans ses assemblées primaires et décrète, en conséquence, que le ci-devant comté de Nice fait partie intégrante de la République française », Danton demande que le vœu de réunion du peuple de Liège soit accepté aussi. Il amorçait par là toute la question de la Belgique.

« N’avez-vous pas déjà préjugé cette réunion quand vous avez décidé que la Belgique serait constituée provisoirement suivant les lois françaises ? Où serait donc la politique d’un grand peuple si, donnant la liberté à un autre peuple et le constituant selon le mode de cette liberté, il l’abandonnait ensuite à lui-même ? Cette politique serait criminelle, elle serait meurtrière