Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/146

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cette organisation provisoire, que les circonstances commandaient impérieusement, a pris trop de consistance. Les uns ont pris l’habitude de commander, les autres ont déjà placé exclusivement leur confiance dans ceux qu’ils se sont choisis. Il en résulte qu’aujourd’hui que nous voulons, conformément à l’un de vos arrêtés approuvés par la Convention nationale, doubler les compagnies qui viennent de l’armée du Nord (c’est-à-dire doubler le nombre des soldats dans les compagnies qui avaient des cadres surabondants), nous éprouvons les plus grandes difficultés. Les officiers, jaloux de conserver une autorité qui leur échapperait si leur troupe était encadrée, ont travaillé l’esprit de leurs soldats. Ils ne leur ont pas dit que le seul désir de conserver leurs épaulettes et leurs appointements les animait. Mais ils leur ont fait entendre que, confondus avec les soldats de ligne, ils seraient vexés par eux et qu’ils éprouveraient toutes sortes de mauvais traitements. Les bons habitants des campagnes, dont l’intelligence malheureusement n’égale pas le patriotisme, les ont crus, et leur entêtement à ne pas vouloir être encadrés nous met dans la cruelle alternative d’user de sévérité ou de laisser la loi sans exécution. Ce matin, un ou deux bataillons étaient assemblés sur la place. On a donné des ordres pour qu’une partie se réunît à tel corps et le reste à tel autre. Ç’a été en vain. On a éprouvé la résistance la plus formelle, et l’adjudant-général Dufour a été forcé de faire mettre en prison tous les officiers. Cette mesure qu’on croyait devoir produire quelque effet a été inutile. Enfin, il nous a fallu commander le régiment de hussards et la gendarmerie, et que nous nous rendissions sur la place… »

Et voici maintenant, à côté de cette insubordination spéciale des volontaires, l’insubordination générale des « trois classes », c’est-à-dire des anciens corps, des hommes de recrutement et des garnies nationales requises.

« On se plaint généralement, dans toute l’armée, de la plus grande insubordination, que rien ne peut justifier et qui, jusqu’à présent, il faut le dire, a causé nos défaites. Les commandants des corps n’obéissent qu’en apparence aux généraux, et les officiers ne trouvent pas de soldats soumis. Qu’arrive-t-il ? D’abord, c’est que, dans les marches, un bataillon occupe quelquefois deux ou trois lieues de terrain. Deux ou trois cents brigands se présentent et mettent en fuite mille ou douze cents hommes. Il en résulte encore qu’on se répand dans les villages, que les malheureux cultivateurs sont pillés, sans qu’on puisse reconnaître les coupables : ce qui est un grand malheur. Car déjà plus d’un habitant des campagnes a été autorisé à prendre pour des brigands ceux qui ne devaient venir que pour empêcher le brigandage. …On aura de la peine à le croire. Un jour que les généraux étaient assemblés avec les représentants du peuple, nous avons vu le chef d’un corps venir déclarer que lui et ses camarades ne marcheraient pas contre quatre mille brigands, à moins qu’ils ne fussent six mille… Le mal est grand, nous en avons cherché la cause. Nous avons cru la trouver dans la longueur des formes qui doivent