Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/147

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être observées pour punir les coupables et dans la dépendance où la loi tient l’officier qui désire d’être choisi devant le soldat qui doit faire le choix. Ce qui se passe sous nos yeux est si funeste que si l’on ne trouve pas le moyen de rendre l’officier tout à fait indépendant des soldats, il faut que vous renonciez à avoir des armées. Bientôt elles ne seraient plus qu’un ramassis confus d’hommes qui, ne reconnaissant pas d’autre loi que la force, jetteraient le plus grand trouble dans la République…

« L’insubordination entraîne après elle une foule d’abus. Le soldat qui ne remplit pas ses devoirs avec exactitude se trouve nécessairement désœuvré. Il ne sort d’un cabaret que pour entrer dans un autre, et en peu de temps il a dépensé sa solde. Une fois au dépourvu, il cherche des expédients, et le premier qui se présente à lui est la vente de ses effets. Il se trouve bientôt manquer de tout. Alors il vient faire des demandes et, comme il est indiscipliné, il vomit des imprécations quand on lui fait éprouver un refus ; heureux encore quand il ne se porte pas à d’autres excès… »

Les commissaires de Belgique signalent aussi cette indiscipline et ces excès. Je ne note qu’un passage entre bien d’autres :

« Il est un autre mal très grand que l’on aura beaucoup de peine à détruire, c’est le pillage et les excès auxquels les troupes se livrent. La discipline s’anéantit dans l’armée et les peuples s’indisposent contre les Français. »

Ainsi la Révolution ne s’aveuglait pas sur les vices de l’organisation militaire dans cette période de transition qui va de février 1793 à la fin de l’été de la même année. Elle n’ignorait pas les fâcheux effets que pouvait avoir, pour un temps, le principe de démocratie introduit par elle dans l’armée et qu’elle y voulait développer par l’assimilation presque complète du régime de la ligne au régime des volontaires. Mais elle eut assez de génie, assez de confiance en elle-même et en sa propre pensée pour ne pas se rebuter aux premiers obstacles et aux premiers mécomptes. Elle ne chercha pas le rétablissement de la discipline ébranlée dans le retour à une organisation oligarchique et autoritaire de l’armée. Elle comprit, au contraire, qu’elle devait y affermir l’esprit de démocratie, animer tous les officiers d’un civisme si évident, si ardent, qu’aucun soldat ne pût prétexter, pour excuser son insubordination, le mauvais vouloir ou les louches desseins des chefs.

« C’est du civisme des généraux et des officiers, dit l’instruction du Comité de salut public, qu’il faut attendre le rétablissement et le maintien de la discipline militaire. »

Il y a lâcheté d’esprit à abandonner un haut idéal parce qu’il ne se réalise d’abord que péniblement et convulsivement. Il y a illusion enfantine et meurtrière à s’imaginer qu’il suffit de proclamer cet idéal, de le mettre en formules. Plus il est haut, plus il exige, pour être vraiment réalisé, un immense effort de volonté bonne, une généreuse patience, une infatigable activité.