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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/15

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prétendu porter un jugement : il a frappé, pour se défendre. Il va frapper maintenant le coup décisif, pour se débarrasser à jamais du tyran. « Il faut que le tyran meure, pour que la patrie vive. » Juger Louis XVI, c’est supposer qu’il peut être innocent : et si Louis XVI est innocent, c’est la France qui est rebelle, c’est la Révolution qui est un crime. Donc, pas de procès, pas d’acte d’accusation, pas d’avocat, pas de jugement, pas de lenteurs nouvelles, mais une mesure de salut public.

Ce qu’il y a de fort dans la thèse de Robespierre, c’est qu’il n’y a pas jugement là où la sentence s’impose d’avance au juge, quelle que soit la défense de l’accusé. Or, après le Dix-Août, il n’était pas possible à la Convention de proclamer l’innocence de Louis XVI sans déchaîner la contre-révolution. Il était hardi, et, en un sens, il était noble de proclamer cette nécessité vitale de la Révolution et de ne pas embarrasser de formes judiciaires l’acte de salut de la liberté et de la patrie.

Mais c’était une pensée trop forte pour la conscience hésitante et troublée de la France Celle-ci n’avait pas l’audace de frapper ainsi sans jugement. Elle ne voulait pas se priver elle-même du bénéfice des crimes de Louis XVI, et ces crimes elle voulait qu’ils fussent constatés, pour la nation et pour le monde, selon les formes essentielles de la justice, par un débat public où l’accusé pourrait se faire entendre. Peut-être la hautaine et sommaire procédure de Saint-Just et de Robespierre eût-elle été possible au lendemain même du Dix-Août : alors le décret de mort porté sans jugement contre Louis XVI eût apparu comme la suite de la bataille. En décembre, il était trop tard ; Robespierre constatait lui-même le changement des esprits :

« A l’époque du mois d’août dernier, tous les partisans de la royauté se cachaient ; quiconque eût osé entreprendre l’apologie de Louis XVI eût été puni comme un traître. Aujourd’hui, ils relèvent impunément un front audacieux… » Et Robespierre conclut : « Hâtez-vous : ne perdez pas encore du temps en formalités hypocrites ou timides. »

Mais, sans doute, il n’était plus possible de prononcer aussi sommairement sans heurter le sentiment public. M. Ernest Hamel, dans son Histoire de Robespierre, écrit à ce propos :

« Est-il vrai qu’en ce moment Marat, se penchant vers Dubois-Crancé, lui ait dit : « Avec ces doctrines-là, on fera plus de mal à la République que tous « les tyrans ensemble » ? C’est du moins ce qu’a prétendu un historien très consciencieux (Villiaumé) ; mais nous n’en croyons pas un mot, pour trois raisons : D’abord, parce que de tels scrupules nous paraissent essentiellement contraires au génie et aux habitudes de Marat ; en second lieu, parce que Dubois-Crancé, personnage fort équivoque, ne mérite aucune créance ; enfin parce que l’on a complètement omis de nous donner la moindre preuve de l’authenticité d’une pareille allégation. »

Visiblement, M. Hamel est scandalisé à l’idée que Marat a pu trouver