Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/14

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il est obligé de reconnaître que l’institution de la royauté n’est pas l’œuvre de quelques hommes audacieux, elle a répondu à des nécessités historiques, et tout ce qu’il est permis de dire en 1792, c’est que ces nécessités ont pris fin, c’est que les nations maintenant peuvent se gouverner elles-mêmes. Et alors la question se pose : De quel droit faire payer à l’individu qui fut roi une longue fatalité dont il n’est pas plus responsable que les autres hommes ? Ou si Saint-Just fait abstraction de l’histoire, s’il prolonge dans le passé l’heure présente, s’il croit et s’il dit qu’à chacun des moments des siècles écoulés les hommes auraient pu secouer le joug royal comme ils le secouent maintenant, c’est l’humanité toute entière qui est criminelle, et les peuples doivent se châtier eux-mêmes de leur long et lâche esclavage, comme ils doivent châtier les rois de leur longue et arrogante domination.

En vain Saint-Just allègue-t-il que l’aveuglement des peuples n’excuse pas l’usurpation des rois : il n’excuse pas non plus l’abjecte servilité des peuples. Et, ici encore, pourquoi concentrer, sur la seule tête de Louis XVI, un châtiment qui doit frapper le front humilié des peuples comme le front superbe des rois ? Ainsi, dire que Louis XVI doit être frappé, non à raison des crimes qu’il a commis dans l’exercice de sa fonction de roi, mais à raison de sa seule qualité de roi, c’est se montrer trop sévère pour un seul homme, trop indulgent pour l’humanité complice.

Aussi bien, il n’est pas vrai qu’entre le roi Louis et le peuple de France il n’y eût aucun de ces rapports de justice qui permettent en effet de juger. Depuis la Révolution de 1789, une transaction était intervenue entre la tradition historique et le droit nouveau, entre l’institution royale et la souveraineté populaire. Cette transaction aurait pu durer, si la royauté avait été honnête et fidèle à sa propre parole. C’est la Constitution même qui était, entre le roi et la nation, « le rapport de justice » nié par Saint-Just. Et même quand la Constitution fut tombée, la nation gardait le droit de demander compte à Louis XVI des trahisons qui avaient annulé le pacte de la royauté et du peuple. Le roi n’était pas libéré de sa félonie par la chute de la Constitution envers laquelle il avait été félon. Et c’est cette félonie que la nation avait le droit de juger.

Robespierre, dans son discours du 3 décembre, conclut dans le même sens que Saint-Just, mais pour des raisons autres. Comme lui, il veut qu’il n’y ait pas de jugement, il veut que le roi soit exécuté sans procès, comme un ennemi.

Mais ce n’est pas sa qualité de roi qu’il invoque : ce sont les crimes qu’il a commis contre la nation. « Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent point les rois, ils les replongent dans le néant. »

Entre Louis XVI et la Révolution la lutte est engagée. Le Dix-Août est un premier coup : la mort sera le second. Au Dix-Août, le peuple n’a pas