Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/156

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se livrer à un mouvement populaire, ils n’avaient ni assez de décision pour le susciter, ni assez d’esprit de suite pour l’organiser persévéramment. Si donc la portion la plus ardente et la plus impatiente du peuple de Paris voulait obtenir l’élimination des Girondins, la taxe sur les denrées et la guerre aux riches, si elle voulait pousser en ce sens et même violenter la Convention, elle ne pouvait pas compter sur l’action propre et directe de la Commune de Paris.

C’est ailleurs qu’était la force d’impulsion. Elle était dans les sections et dans les fédérés. Ceux-ci, quand ils étaient venus à Paris à la fin de juillet 1792, n’avaient eu qu’un but : sauver la liberté en combattant le roi. Ils n’avaient pas pris parti dans la querelle entre Robespierre et Brissot. Ils ne distinguaient pas entre Girondins et Montagnards. Leurs sympathies auraient été plutôt pour la Gironde parce qu’elle était alors au premier plan de la Révolution, et parce que les fédérés marseillais avaient beaucoup de sympathie pour Barbaroux. Mais ils ne firent aucune difficulté à aller loger tout près des Cordeliers, à se lier avec Danton ; et bientôt l’esprit de Paris, de plus en plus hostile à la Gironde, les pénétra. Barbaroux lui-même, dans une lettre adressée le 30 janvier à ses amis de Marseille, note avec chagrin, presque avec désespoir, le changement qui s’est fait dans les dispositions des fédérés…

« Alors le ministre Pache changea de système et voulut gagner par la flatterie et la séduction des militaires qu’il avait d’abord maltraités, et auxquels il avait refusé, pendant plus d’un mois, deux pièces de canon… Vous savez qu’il s’était formé une société de fédérés dans la caserne des Marseillais. On a dit que c’était mon ouvrage. J’atteste que je n’y ai jamais mis le pied que quinze jours après sa fondation, et que je fus enchanté de l’ordre et du bon esprit qui y régnaient ; vous en aurez jugé de même par les lettres qu’elle vous a écrites et les adresses qu’elle vous a transmises ; bientôt une foule de patriotes se réunirent à cette société, qui prenait ainsi des accroissements rapides. Les tentatives de séduction se firent dans la société même. Je crois vous avoir raconté dans le temps que nous avions trouvé dans une de ses séances la veuve Pache, la tante Pache, la demoiselle Pache, Hassenfratz, Meunier, Audoin, Lemaire et plusieurs autres commis de la guerre qui, dans un moment où les besoins de l’armée les demandaient dans leurs bureaux, à sept heures du soir, travaillaient nos Marseillais. Ceux-ci ne furent pas dupes de ces manœuvres, et c’est alors qu’on imagina d’autres moyens. Je n’en sais pas tous les détails ni ne veux savoir des choses qui font frémir ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y eut beaucoup de dîners donnés à nos canonniers, c’est que le commandant même eut la faiblesse de se prêter à ces séductions, lui qui connaissait pourtant la trame ourdie contre la chose publique, puisqu’on lui avait proposé de tomber sur la Convention nationale. Le résultat de ces fêtes fut que nos Marseillais se trouvaient liés avec tous ceux qui les avaient maltraités. Je dis nos Marseillais, quoiqu’il y ait beau-