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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/157

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coup d’exceptions à faire ; en même temps arrivèrent à Marseille une foule de lettres qui me calomniaient, et à Paris les adresses qui m’accusaient. Je courus des dangers ; je n’en parle pas, mais jugez quel a dû être au milieu de toutes ces agitations l’état du bataillon. »

Si, au moment où les compagnies de fédérés marseillais demandent à revenir à Marseille, il semble y avoir un rapprochement entre les Girondins et eux, ce n’est qu’une apparence. Naturellement les fédérés désiraient retourner dans leur ville de Marseille, et Barbaroux, leur député, appuyait leur demande devant la Convention. Il pouvait espérer ainsi se populariser de nouveau auprès d’eux. La Gironde n’avait plus d’ailleurs aucun intérêt à garder à Paris des hommes qui, sous l’influence de Paris, se détachaient d’elle. Les Montagnards, il est vrai, ne paraissent pas ménager ce bataillon marseillais qu’ils avaient pris tant de soin de gagner, puisqu’ils lui interdisent de rentrer à Marseille et le mettent à la disposition du ministre de la guerre qui l’enverra, s’il le veut, à la frontière. La Montagne craignait que de nouveaux appels fussent faits par la Gironde, et elle décourageait d’avance, en les liant au service militaire, les fédérés qui viendraient à Paris pour soutenir les Girondins. Mais, en fait, beaucoup de fédérés s’étaient laissé gagner par les partis extrêmes, et ils pouvaient devenir pour les groupes révolutionnaires des sections de Paris des alliés très précieux.

Par eux, en effet, Paris s’agrandissait de la France. Ce n’était plus seulement au nom de Paris, c’était au nom de tout le peuple révolutionnaire de France, représenté par les plus dévoués des patriotes, que les délégués des sections parlaient à la Convention. Unis aux fédérés, ils étaient toute la nation révolutionnaire, et ce serait admirable d’écraser la Gironde au moyen des fédérés qu’elle avait appelés à sa défense. La tactique des sections les plus animées fut donc de former une sorte de faisceau avec les délégués, d’entraîner peu à peu et de compromettre la Commune, et de forcer ainsi les résistances de la Convention.

Depuis décembre, dans les sections, la colère révolutionnaire s’exaltait Quoi ! le peuple avait été assassiné par le roi au Dix-Août, et, cinq mois après, la Convention n’avait pas encore jugé l’assassin ! Elle hésitait, elle disputait. Quoi ! le monde entier, soulevé par les tyrans, s’arme pour venger la mort du tyran ! Il faut encore aller aux frontières, abandonner la boutique et l’atelier, et pendant ce temps, ceux qui par leur hésitation à frapper le roi ont encouragé tous les despotes continuent à gouverner, à dominer la Convention ! Quoi ! le peuple donne son sang ! et tandis qu’il s’épuise à sauver la patrie, il est ruiné, affamé par la hausse constante du prix des denrées ! Et la loi ne frappe pas les agioteurs qui déprécient le papier-monnaie, les accapareurs, qui renchérissent le prix de la vie ! Que le peuple s’organise, qu’il agisse, et qu’il aide les démocrates de la Convention, trop timorés, trop enchaînés de