Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/163

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« L’égalité politique établie, les pauvres sentent bientôt qu’elle est affaiblie par l’inégalité des fortunes, et comme égalité c’est indépendance, ils s’indignent et s’aigrissent contre les hommes dont ils dépendent par leurs besoins, ils demandent l’égalité des fortunes, mais il est rare que les riches se prêtent de bonne grâce à ce vœu. Alors il faut l’obtenir ou par la force ou par les lois.

« On ne peut pas l’obtenir par la force, car il ne peut résulter des violences faites par les pauvres qui, d’ailleurs, le sont inégalement, que des résultats inégaux, et des partages contraires au principe du partage ; on n’a pas obtenu l’égalité, mais l’inégalité ; c’est tout le contraire de ce qu’on demandait. Il faut donc tâcher de l’obtenir des lois, et les charger de deux choses : 1o de faire le partage le plus égal des fortunes ; 2o de créer des lois pour le maintenir et pour prévenir les inégalités futures.

« Pour faire ce partage égal, il faut considérer : 1o les diverses espèces de propriétés ; 2o les diverses espèces d’industrie ; 3o les moyens de les répartir ; 4o l’étendue du pays ; et 5o la multitude d’hommes sur laquelle ils doivent être répartis. Ces combinaisons sont au-dessus des forces humaines, et chaque heure du jour les faisant changer, cet ouvrage serait la toile de Pénélope. Je crois donc qu’il faut renoncer à faire, en tel jour fixé, un dépouillement de toutes les fortunes pour les distribuer à toutes les têtes et à tous les talents.

« Le législateur devra donc s’occuper de créer l’égalité des fortunes par d’autres moyens, et non pas pour tel quart d’heure indiqué, mais pour telle période ou pour telle génération.

« Il peut établir ou des institutions morales et des habitudes, ou des lois précises sur la quantité de richesses que les citoyens peuvent posséder, ou des lois qui en fixent et en règlent l’usage, de manière : 1o à rendre le superflu inutile à celui qui le possède ; 2o à le faire tourner à l’avantage de celui qui en manque ; 3o à le faire tourner au profit de la société.

« Les institutions morales ou les habitudes seront utiles qui, modelant tous les citoyens sur les mêmes formes déterminées, ne permettent pas les distinctions, soit dans les vêtements, soit dans les ameublements, soit dans les accessoires étrangers à un homme et qui cependant le distinguent des autres et les tiennent humiliés. Je ne fais aucun cas des lois somptuaires que le riche élude toujours, car il s’agit moins de défendre la vanité et l’orgueil que d’instituer la modération, la sobriété, la tempérance, la modestie dans les habits. Ce principe doit être appliqué à toutes les lois, qui doivent moins punir les vices qu’instituer et rendre honorable la vertu.

« Le législateur peut encore établir des lois précises sur le maximum de fortune qu’un homme peut posséder, et au delà duquel la société prend sa place et jouit de son droit. Ce point-ci est d’une extrême délicatesse, parce qu’il semble attenter à la propriété et mettre des bornes à l’ambition. Mais