Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/168

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novembre 1792, précisément au sujet des plans de Constitution qui commençaient à être élaborés.

L’homme est un être sensé, mais incessamment gouverné par ses impressions. Vous pouvez facilement lui faire sentir que, sous le rapport du droit, il est égal à tout autre homme. La vanité peut même lui dire à l’oreille qu’il l’est aussi en mérite. Mais plus il sent son égalité de mérite et de droit, plus il sent aussi son infériorité de possession. Lorsque cette possession manque tout à fait, il a des droits qu’il ne peut exercer, des talents qu’il ne peut employer, des désirs qu’il ne peut satisfaire, et, par suite, des ressentiments qu’il ne peut calmer.

« Or, la loi immuable de la propriété est que dans un pays bien réglé, le petit nombre doit bientôt tout posséder. Et la majorité, la grande majorité, rien. Entre cette économie politique qui constitue la tyrannie du riche, et cette misère qui enchaîne le pauvre, peu importe la forme du gouvernement, il y a une lutte continuelle qui crée des grands hommes. Et les grands hommes sont généralement ambitieux. Les riches sont autant esclaves de leurs plaisirs que les pauvres peuvent l’être de leurs besoins. Dans un état de choses où la Constitution n’est pas pondérée et soutenue par une base solide d’intérêts privés, il faut qu’elle soit renversée. Je cesse ces raisonnements pour vous dire que tout est ici dans l’incertitude. Le temps déroulera les événements en leur saison. Il y en aura de tristes comme la tombe. »

Ainsi, selon Gouverneur Morris, la démocratie pure ne peut durer parce qu’elle déchaîne sans contrepoids la lutte des pauvres et des riches, et parce que la propriété s’y développant sans mesure et s’y concentrant en un petit nombre de mains, rompt l’équilibre. Et il conclut à une sorte de gouvernement mixte, capable de faire contrepoids à l’égoïsme illimité des riches comme à la convoitise effrénée des pauvres. Au contraire, le souci des Conventionnels et leur espérance était de sauver la démocratie en limitant la disproportion des fortunes et, par conséquent l’antagonisme des classes. C’est chose caractéristique que le journal même de Brissot ait publié à peu près à la même date (le 28 décembre 1792) un article sur l’Égalité de fait. Le titre seul est très suggestif.

Dans toute démocratie, dit le Patriote français, les lois doivent détruire et prévenir la trop grande inégalité de fait entre les citoyens, sans cela l’égalité de leurs droits serait une chimère : l’indigent se vendrait au riche, et celui-ci dominerait.

« Mais ces institutions favorables à l’égalité doivent être introduites sans commotion, sans violence, sans manquer de respect au premier des droits sociaux, la propriété ; ce doit être, s’il se peut, d’une manière également utile au bonheur et à la vertu des citoyens.

« Le partage des terres proposé par des anarchistes ou des coblenciens, serait la plus funeste des mesures ; elle serait injuste, inutile et meurtrière ;