Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/173

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une prompte décision sur cet objet important ; ils vous renouvellent, avec nous, le serment de mourir républicains. »

La nouvelle organisation révolutionnaire avait admirablement choisi, pour ses débuts devant la Convention, la question à poser. D’abord, il n’y en avait pas qui répondît davantage à l’attente passionnée du peuple. Comme nous l’avons vu, c’est surtout par rapport à la monnaie métallique, à la monnaie d’or et d’argent, que le discrédit de l’assignat était grand ; il était moindre par rapport aux denrées, aussi le peuple pouvait se figurer que c’étaient les banquiers, les marchands de monnaie, qui précipitaient la chute de l’assignat, et comme c’est par rapport à la monnaie que cette chute de l’assignat était la plus forte, il s’imaginait que la hausse des denrées n’était qu’une conséquence de la hausse de la monnaie de métal. Proscrire celle-ci c’était donc, semblait-il, faire cesser la déchéance de l’assignat, humiliante pour la Révolution et ruineuse pour le peuple. Au moment où l’émission nouvelle de 800 millions d’assignats décrétée par la Convention en abaissait encore les cours et déterminait par contre-coup un nouveau relèvement du prix des denrées, la question paraissait avoir un intérêt vital. Quelle joie pour les groupes révolutionnaires des sections s’ils décidaient la Convention à prendre sur cet objet des mesures rigoureuses ! Et en même temps, l’organisation révolutionnaire savait qu’elle ne risquait pas de heurter trop violemment la Convention. J’ai déjà cité un passage de Condorcet, qui remonte à quelques mois à peine et où il indique que le meilleur moyen de mettre un terme à l’agio serait peut-être de n’avoir qu’une monnaie, celle de papier. Cambon commençait dès lors à prendre en haine le numéraire ; une des raisons principales qui l’avaient brouillé avec Dumouriez et avec les généraux était que ceux-ci, insistant pour payer en numéraire la solde de leurs soldats, contribuaient au discrédit de l’assignat. Cambon dut accueillir avec une satisfaction silencieuse les premières tentatives faites auprès de la Convention pour éliminer le numéraire. En fait, c’est bientôt, c’est dans le commencement d’avril que, sur la motion de Cambon lui-même, la Convention votera des mesures conformes à la pétition du 3 février. Ainsi les groupements des sections paraissaient marcher à l’avant-garde de la Révolution, et ils ne heurtaient pas trop brutalement la Convention nationale.

Mais quelques jours après ils s’enhardissent, et c’est d’un ton vraiment menaçant que le 12 février ils pressent, ils somment la Convention d’adopter cette taxation générale des denrées à laquelle elle avait violemment et presque unanimement résisté jusque-là.

« Citoyens législateurs, ce n’est pas assez d’avoir déclaré que nous sommes républicains français. Il faut encore que le peuple soit heureux ; il faut encore qu’il ait du pain, car là où il n’y a pas de pain, il n’y a plus de lois, plus de liberté, plus de République. Nous venons donc vous présenter de nouvelles vues sur les subsistances, approuvées par l’unanimité de nos