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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/178

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pathie. De même que bientôt les Jacobins entreront en lutte avec un autre groupement qui, sans occuper le même local qu’eux, se réunit dans le même immeuble, la « Société fraternelle de l’un et de l’autre sexe », ils ne tarderont pas aussi à prendre en défiance les « Défenseurs de la République ».

Il leur fut sans doute très désagréable que, lorsque les pétitionnaires qui venaient de soulever contre eux la Convention furent invités à remettre leurs pouvoirs, ils aient remis la pièce suivante : Extrait du procès-verbal de la Société fraternelle réunie à celle des Défenseurs de la République une et indivisible, séant aux Jacobins de Paris, rue Saint-Honoré, le 7 février ». C’était un voisinage fâcheux et une confusion compromettante. Les Jacobins ne tardèrent pas à voir que les nouveaux groupements révolutionnaires ne seraient pas en leurs mains un instrument commode. Ceux-ci en effet ne se bornaient pas à attaquer la Gironde plus violemment qu’à cette date les Jacobins eux-mêmes ne l’auraient voulu, ils attaquaient la Montagne elle-même : ils lui reprochaient sa tiédeur, sa mollesse, et aussi ils l’accusaient de négliger les questions économiques, de ne pas résoudre le plus urgent des problèmes sociaux, le problème des subsistances. Saint-Just qui avait combattu en somme, dans le grand discours que j’ai analysé, toute réglementation et toute taxation, était l’objet de véhémentes attaques. Le 12 février, les délégués des 48 sections distribuaient dans Paris et à la porte même de la Convention un placard où il était dit : « Quand le peuple sait que dans les assemblées populaires les orateurs qui haranguent et débitent les plus beaux discours et les meilleures leçons, soupent bien tous les jours… » et un peu plus bas ; « de ce nombre est le citoyen Saint-Just ; levez haut le masque odieux dont il se couvre. » Saint-Just plia son orgueil à parlementer avec eux : mais la blessure dut être cruelle : et les robespierristes sentirent qu’il y avait là une force neuve et peu maniable. Les attaques contre Saint-Just visaient indirectement Robespierre, dont il se proclamait le disciple. Les voilà bien, ces puritains qui parlent si bien de vertu et qui nourrissent le peuple de vérités austères ! Pendant qu’ils refusent de lui assurer du pain, eux ils font des soupers fins. Et tout entiers à leurs combinaisons politiques, à leurs luttes d’influence et à leurs rivalités personnelles ils ont peur d’aborder la question des subsistances ! Les Jacobins en effet hésitaient à s’y engager. M. Gomel, dans les études aussi réactionnaires qu’inexactes qu’il a consacrées à l’Histoire financière de la Législative et de la Convention, écrit à propos de ce mouvement de février 1793 :

« Les Jacobins n’étaient pas partisans de la liberté du commerce des céréales. L’intervention de l’État en cette matière, des taxations établies d’office et des mesures de rigueur centre les marchands aussi bien que contre les cultivateurs qui ne se soumettraient pas à la loi, répondaient bien mieux à leurs instincts autoritaires. »

C’est, à ce moment, une erreur flagrante. Les Jacobins seront peu à peu