présenter ses adversaires comme des anarchistes altérés de sang, elle s’obligeait à témoigner de la répugnance pour toute œuvre de mort. Comme un jour, à la Convention, Jean Bon Saint-André invoquait les morts du Dix-Août pour hâter le jugement du roi : « Voilà, écrivait Brissot, des ombres transformées en bourreaux. »
Enfin, il se peut qu’en octobre et novembre la Gironde ait compté sur la force éblouissante de la victoire pour résoudre toutes les difficultés. Valmy, Jemmapes, Chambéry, Spire, Francfort, la Belgique, la Savoie, l’Allemagne… qui sait si l’Europe effrayée et fascinée ne demandera point la paix ? Est-il sage de rendre les négociations plus difficiles en jetant aux rois la tête d’un roi ? Et ne sera-t-il point glorieux à la liberté victorieuse de faire grâce de la vie au roi félon et parjure ? Ce sera effacer, pour le monde, la tache de sang que septembre a mise au front de la République. Ce sera ouvrir une ère d’humanité apaisée ; et la victoire de la Gironde sera complète : victoire sur la contre-révolution et sur le vieux monde, victoire sur « l’anarchisme meurtrier » et sur la barbarie.
Voilà les pensées qui flottaient dans l’esprit de la Gironde. Mais elle ne les formulait point en une politique courageuse et claire. La clémence envers le roi était liée à la paix avec le monde. Or, tantôt Brissot pressentait le péril de la guerre illimitée, tantôt il se laissait aller aux imprudentes effusions de la propagande révolutionnaire universelle. L’amnistie pour le roi supposait aussi l’amnistie pour les révolutionnaires. Il eût été monstrueux d’épargner le traître, et de frapper ceux qui avaient été conduits jusqu’au délire du meurtre par sa trahison. Or, la Gironde dénonçait sans cesse et menaçait les hommes de septembre, c’est-à-dire dans l’état de confusion où étaient restées les responsabilités, tout le peuple de Paris. En déchirant le voile qu’elle avait d’abord consenti à jeter sur les journées de septembre, la Gironde rendait impossible à la nation de jeter sur les crimes du roi un voile de dédaigneuse pitié. Ainsi, il n’y avait dans la politique de la Gironde qu’obscurité et contradiction ; et ne sachant pas précisément ce qu’elle voulait, elle n’était plus, malgré son agitation extérieure, qu’une force d’inertie, d’immobilité et d’ajournement.
Marat note que les chefs girondins se sont abstenus de prendre part au débat sur l’inviolabilité royale :
« On se rappelle, écrit-il le 6 décembre, le projet des meneurs de la clique rolandine (projet que j’ai dénoncé il y a quelque temps) de ne point parler à la tribune sur l’inviolabilité de Louis Capet pour ne pas déceler leur royalisme ; mais de faire plaider sa cause par les roquets auxquels ils devaient applaudir de toutes leurs forces pour exciter les applaudissements des spectateurs soudoyés. Ce projet est déjà mis à exécution. On n’a entendu à la tribune ni Guadet, ni Gensonné, ni Lacroix, ni Buzot, ni Brissot, ni Roland, ni Kersaint,