Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/21

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mais leurs roquets, Morisson, Valazé et Fauchet plaider en lâches valets de la Cour la cause du tyran. »

Marat oublie que Pétion était intervenu et s’était prononcé avec force contre la thèse de l’inviolabilité. Au demeurant, les Girondins ne pouvaient y adhérer ; et leur plan n’était pas que Louis XVI ne fût point jugé. Mais il reste vrai qu’ils ne s’engagèrent pas à fond contre le roi. Ils voulaient rendre possible un acte final de clémence.

Ils usèrent surtout de deux moyens, pour prolonger les débats, et pour détourner la violence des colères qui menaçaient Louis XVI. D’abord, ils essayèrent de saisir du procès le peuple entier, ou du moins, quelques-uns d’entre eux l’essayèrent : car l’action des Girondins est très diverse et flottante, soit qu’ils fussent incapables de discipline, soit que cette incohérence même, en multipliant les projets, servît leur pensée fondamentale de temporisation. Toutes les fois que le procès semblait faire un pas, la Gironde imaginait une diversion.

Le 3 décembre, la Convention écartait la motion tranchante de Robespierre, qui exécutait Louis XVI sans jugement :

« Louis XVI, traître envers la nation, ennemi de l’humanité, sera puni de mort à la place où les défenseurs de la liberté ont péri le 10 août. »

Et elle adoptait la formule de Pétion :

« La Convention nationale déclare qu’elle jugera Louis XVI. »

Enfin, la marche juridique semblait réglée. Mais le même jour, un des girondins, Ducos, comme pour ouvrir une autre issue aux esprits, transportait le procès devant le peuple. « Les assemblées primaires seront convoquées, et chaque citoyen sera appelé :

« Il s’approchera du bureau, le président lui demandera à haute et intelligible voix : « Acceptez-vous et ratifiez-vous l’abolition de la royauté, et l’établissement de la République en France ?

« Votre vœu est-il que Louis XVI puisse être jugé ?

« Votre vœu est-il que Louis XVI soit jugé sans appel, par la Convention nationale, ou par un tribunal d’attribution spéciale qui sera, à cet effet, commis par la Convention nationale ?

« Ces trois questions seront faites séparément : le citoyen interrogé y répondra aussi séparément par oui ou par non, et à haute et intelligible voix. »

Quand je dis que Ducos portait le procès devant le peuple, je me trompe. Ce n’est pas le fond même du procès qu’il lui soumettait, mais seulement une question préalable de juridiction et de procédure. Je ne m’arrête pas à discuter cette opinion individuelle, mais il est clair que c’était un ajournement indéfini. Or, qu’un homme sympathique aux Girondins ait formulé cette proposition dilatoire, cela est un signe de l’état d’esprit de la Gironde.