Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/207

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proposa un projet de loi sur lequel vivent aujourd’hui nos antisémites fougueux, et qui témoigne d’un sens révolutionnaire assez pauvre et bas. Il demanda que l’on reprît contre les financiers les traditions de l’ancien régime, et qu’une Chambre de justice examinât leurs comptes jusqu’en 1740 et leur fît rendre gorge.

« Tel financier présente une fortune de 50 millions qu’il se hâte peut-être en ce moment de convertir en portefeuille. Tel autre de 15 à 18 millions… Tel autre a laissé en mourant, à d’avides héritiers, les plus beaux hôtels de la capitale et les plus belles possessions territoriales. Les fortunes de 3, 4, 5, 6 millions sont très communes parmi ces financiers de l’ancien régime qui restent au milieu de nous et qui accaparent les denrées de première nécessité… »

En conséquence il proposait :

« Tous ces ci-devant trésoriers-généraux et particuliers des finances, régisseurs généraux des domaines et bois, ex-ministres ou contrôleurs des finances, fermiers généraux, intendants des finances, intendants de province et d’armée, maîtres des comptes, liquidateurs généraux, administrateurs généraux des postes, banquiers de cour, banquiers agioteurs, leurs participes, agents et commis, dont la fortune scandaleuse accuse complicité d’usure, de péculat et de concussion, tout homme de finances, partisan, traitant, enfin leurs héritiers, successeurs en ligne droite ou collatérale, donataires ou ayants cause, sont assujettis, dès l’instant même, à des déclarations de leur fortune mobilière et immobilière. Ces déclarations partiront depuis l’année 1740 inclusivement jusqu’au jour du présent décret, etc. »

C’était tout l’état-major financier et administratif de l’ancien régime qui était, selon l’expression commune à Carra et à Hébert, appelé à « dégorger ». C’était minuscule et misérable ; car en quoi cette reprise d’un certain nombre de millions (à supposer qu’on y réussît) allait-elle modifier la situation économique générale et influer sur les prix ? C’était suranné, car c’est toute une classe nouvelle, surgie de la Révolution même, qui déployait en tous sens cette activité merveilleuse et surabondante qui allait jusqu’à l’audace de l’accaparement et à la puissance du monopole. Carra ne voyait que l’ombre du passé projetée sur les jours présents, il ne voyait pas les immenses forces neuves dont il fallait régler le jeu téméraire.

C’était toutefois un signe des temps : « C’est la désorganisation de l’ordre social », cria Lecointe-Puyraveau, en demandant la question préalable. Mais la Convention, sans aborder la discussion du projet, en ordonna l’impression. Et telle était la force du mouvement commençant contre « les accapareurs », que le journal de Brissot lui-même, tout en laissant échapper son irritation contre Carra « l’inquisiteur des banquiers », n’ose pas combattre à fond la thèse, si médiocre d’ailleurs et si vieillotte avec ses airs menaçants.

Bien plus vivant, bien plus profond fut le discours de Chaumette devant la Convention, le 27 février. Il semble que le procureur de la Commune