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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/222

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sieurs sourient. Vils mendiants, un assignat vous éblouit ! Peut-il compenser une seule goutte de votre sang auguste ? Ne sentez-vous pas la souveraineté qui circule dans vos veines ? Sachez, ah ! sachez que vous êtes des rois et plus que des rois. — Riches, mousquets sur l’épaule et flamberge au vent, galopez vers l’ennemi ! Vous tremblez ! Oh ! n’ayez pas peur… Vous n’irez pas seuls, vous aurez pour frères d’armes nos braves sans-culottes, qui n’étalent pas de la broderie sous le menton, mais qui ont du poil aux bras… Tenez, amis, vous n’êtes point aussi mauvais qu’on veut bien le dire. Oh ! vous en vaudriez cent fois mieux si nous nous étions un peu fréquentés. Les aristocrates ne sont incorrigibles que parce que nous les négligeons trop, il s’agirait de refaire leur éducation. On parle de les pendre, de les guillotiner ; c’est bientôt fait, c’est une horreur ! Y a-t-il de l’humanité et du bon sens à jeter un malade par la fenêtre pour s’exempter de le guérir ? »

Ainsi cet exalté conseillait parfois la modération ; cet homme qui se laissait emporter parfois à de frénétiques paroles voulait guérir ses ennemis, et non les frapper. De même, ce lyrique, si dénué de goût en son prophétisme révolutionnaire, rappelait les sections lyonnaises, qui se paraient puérilement de noms éclatants, à la modestie et au bon sens.

« Ô Français, légers comme les Athéniens, serez-vous toujours esclaves des hochets et éblouis par un clinquant ? Peuple que la Révolution a grandi et auquel il faut toujours des oripeaux et des grelots… Eh ! qu’est-il besoin d’une étiquette pour annoncer que vous êtes braves ! Grands enfants de dix coudées, que vous me semblez petits dans votre hauteur ! Eh ! dites-moi ce que signifient ces noms empruntés et retentissants de Brutus, de Guillaume Tell, de Jean Bart, de Scevola ? Avec vos mensongères et folles échasses, vous vous faites une taille gigantesque ; on n’aperçoit plus ce qui vous appartient. Tenez-vous-en à votre stature. Mettons ces beaux noms en réserve comme des prix d’attente. »

Ces alternances d’humanité et de colère émouvaient la mysticité lyonnaise. Chalier attachait à lui, d’un lien presque religieux, les âmes révolutionnaires les plus exaltées et les plus ferventes. Mais la cité, dans son ensemble, restait défiante et morne, troublée parfois par des effusions de paroles menaçantes dont les ennemis de Chalier aggravaient le sens. Mais Danton lui-même, avec son large et clair génie, aurait-il réussi à ramener à l’unité d’action la ville où tant de forces contre-révolutionnaires étaient accumulées, et où la Révolution s’exaltait dans le péril et dans la fièvre ? À la demande du club central, la municipalité ordonne, le 5 février, des visites domiciliaires, « pour purger la ville des scélérats qu’elle recelait ». Mais ces perquisitions, mal secondées par la population elle-même, ne donnèrent que des résultats insignifiants ; une sorte de complicité passive protégeait les contre-révolutionnaires, et la puissance publique, tiraillée entre la municipalité favorable à Chalier, le maire et le directoire du département qui lui étaient hostiles, ne pouvait