Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/221

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et l’homme est tenté trop souvent de se servir de cette mysticité comme d’un voile pour se cacher à lui-même la brutalité de ses actes et la cruauté de ses pensées. Dans les paroles de Chalier pourtant il y avait de soudaines pitiés qui démentaient les conseils sauvages. Tour à tour il excitait, rudoyait, calmait, avec une exaltation mêlée de bonhomie et de rhétorique vaguement meurtrière.

« Oui, ne nous y trompons pas : l’arbre de la liberté ne fleurira que sur les cadavres sanglants des despotes… — Écoutez, camarades, disait-il au club central, ne vous offensez pas, on vous proclame et vous vous proclamez bons républicains, c’est bien aisé à dire, mais, la main sur la conscience, l’êtes-vous ? L’espèce est fort rare, et une si grande production coûte à la nature des efforts étranges (12 février 1793). — Le folliculaire Foin m’accuse d’avoir voulu un tribunal de sang… Oui, je l’ai voulu… Du sang pour punir les monstres qui en boivent ! Misérable, que t’importe ? Tu ne crains pas qu’on verse le tien, tu n’as que de la boue et du virus dans les veines… Les modérés ont du jus de pavot ; les accapareurs, un or fluide ; les réfractaires, un extrait de ciguë. — Roland, Roland, ta tête branle ; Clavière aux doigts crochus, à bas ! à bas les vilains ongles !… Dumouriez, mon général, tu as l’air noble, la contenance un peu royale. Ah ! tremble, j’ai l’œil sur toi… Marche droit. Parlez, intrépides soldats de la phalange révolutionnaire ; allez droit à Dumouriez, regardez-le entre les deux yeux ; s’il est franc du collier, si son attitude est ferme, embrassez-le ; s’il pâlit, s’il tergiverse, point de grâce ; la justice du ciel est dans vos mains. — Jésus-Christ était un bon Dieu, un bon homme ; il prêchait la miséricorde, la modération. Fi ! fi ! mes camarades ! vous m’entendez, la vengeance est mon cri ! — La liberté, rien que la liberté, toute la liberté ; chacun la veut. Mais pour l’égalité qui donne des coliques, c’est autre chose… Aristocrate, le nez au vent, tu recules… Approche, coquin, je te tiens à la gorge, prends ce calice, bois-y de bonne grâce ou je t’étrangle. — Riches insouciants qui ronflez sur l’ouate, réveillez-vous, secouez vos pavots ; la trompette guerrière sonne : Aux armes ! aux armes ! Point de paresse ! Point de poltronnerie ! Il s’agit de vous lever et de voler au combat ! Vous vous frottez les yeux ; vous bâillez, vous laissez tomber vos bras ; il vous en coûte de quitter cette couche parfumée, cet oreiller de roses… Dépêchez-vous ! Vite ! vite ! Tout plaisir est criminel quand les sans-culottes souffrent, quand la patrie est en danger. »

Et ces admonestations véhémentes, où perce une menace, sont mêlées de paroles humaines, pleines de pitié pour tous, pour les pauvres qui souffrent et qui n’ont pas toujours conscience de leur dignité, pour les aristocrates que le préjugé aveugle :

« La sans-culotterie remplace la royauté. Mes va-nu-pieds, chers camarades, embrassons-nous, je vous chausserai… On boursille, on fait une somme mesquine pour vous acheter et vous envoyer aux frontières… Plu-