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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/238

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être en effet, le risque de glisser à la trahison n’ait pas apparu à Dumouriez le plus terrible de tous.

Déjà, lui-même, il se croyait obligé de répudier et d’écarter les volontaires, et de remplacer le soldat citoyen venu de France par des soldats belges et bataves qui n’auraient été probablement que des mercenaires. Déjà, par le choix des villes où il se propose de convoquer les délégués du peuple belge, Alost, Anvers, Gand, c’est-à-dire des villes où l’esprit de la France était le plus combattu, il avouait qu’il n’était même pas sûr de la Belgique toute entière. Je lis dans une lettre que, le 22 février, les commissaires de la Convention écrivent de Gand :

Les campagnes sont, en général, portées pour la réunion (à la France). On ne craint des tentatives contre ce vœu que dans quelques petites villes telles que celle d’Alost. »

Or, c’est précisément dans cette ville d’Alost, la plus réfractaire à l’esprit de la Révolution, et qui est aujourd’hui encore une des forteresses du cléricalisme le plus violent, que Dumouriez voulait convoquer les délégués du peuple belge. Il y avait, en plus d’une région de la Belgique, des forces révolutionnaires qu’il redoutait.

Le plan d’invasion en Hollande était téméraire : non qu’il fût malaisé à Dumouriez d’atteindre Rotterdam et Amsterdam. Lui-même devait marcher directement sur Rotterdam : son lieutenant Mirande, laissant au général Valence le soin de continuer le siège de Maëstricht, devait descendre la vallée de la Meuse : la jonction de Dumouriez et de Mirande se faisait à Nimègue, et tous deux, enlevaient Amsterdam. Mais que deviendraient pendant ce temps les Pays-Bas ? Si le prince de Cobourg, qui commandait sur le Rhin l’armée autrichienne, passait le fleuve, débloquait Maëstricht et envahissait la Belgique, qui lui résisterait ? La pointe de Dumouriez en Hollande était donc très hasardeuse. Elle ne pouvait réussir que par un miracle de célérité chez Dumouriez, par un miracle de lenteur chez l’ennemi. Dumouriez assure dans ses Mémoires qu’il avait vu le danger :

« Si la France eût été gouvernée par des hommes raisonnables, il aurait proposé d’abandonner les Pays-Bas qu’on ne pouvait plus défendre, et de retirer l’armée derrière les places du département du Nord, en gardant quelque temps les bords de l’Escaut et la citadelle de Namur ; mais une proposition aussi raisonnable aurait été regardée comme une lâcheté, ou une trahison, et elle aurait coûté la tête au général.

« Si d’ailleurs elle eût été acceptée, elle l’eût mis sous la puissance des tyrans féroces qu’il avait le projet d’opprimer pour sauver la France. S’il y rentrait avec son armée, suivi par l’ennemi et ayant l’air de fuir, il perdait auprès d’elle toute sa considération, qu’il ne pouvait conserver que par de grands succès ; elle eût été influencée par les Jacobins de Paris, que cette retraite eût renforcés de soixante à soixante-dix mille hommes. Il ne pouvait