Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/240

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bentzl et Spielman ont été éloignés des affaires pour n’avoir pas voulu y entrer. »

Encore une fois, ce n’est pas ainsi que Dumouriez a trahi. Ce sont là vanteries de diplomates autrichiens qui veulent attribuer à leur habileté les événements heureux. Et sans doute, pour ne pas blesser leur amour-propre, Dumouriez laissait dire. Il semble même qu’il a encouragé la légende par quelques paroles vagues. Fersen, dans une lettre du 29 avril, écrite de Bruxelles au régent de Suède, raconte qu’il « a causé longuement » avec Dumouriez à Aix-la-Chapelle.

« Enfin, la conversation avec Dumouriez m’a persuadé, encore plus que je ne l’étais, qu’aucun bon mouvement n’a dicté sa conduite, et qu’elle ne l’a été que par l’impossibilité qu’il avait reconnue de résister plus longtemps, et le désir qu’il avait de se sauver de la chute générale et de faire oublier tous ses torts par un grand service. Il y avait plus de trois mois qu’il avait pressenti cette nécessité et qu’il avait négocié pour cet objet. »

Quand il parlera ainsi, Dumouriez se calomniera lui-même : et il ne faut pas que les complaisances misérables, par lesquelles il exagérait et antidatait sa trahison, faussent pour nous le sens de sa campagne de Hollande. Il désirait et il voulait la victoire. Et il ne savait pas au juste, à ce moment, quel usage il en ferait. Peut-être, selon le plan exposé dans ses Mémoires, il se tournerait contre la Révolution, peut-être aussi essaierait-il, par l’éclat renouvelé et accru de son prestige, de la séduire, de l’entraîner à sa suite et de la gouverner. C’est sans doute dans cette vue qu’il lançait contre le stathouder une proclamation toute vibrante de l’accent révolutionnaire. Il allait ainsi, flottant entre des pensées incertaines, mais animé de cette infatigable espérance qui était comme le ressort de son être et l’excellence de sa nature.

D’un premier élan il s’empare de Bréda, où les soldats français dansent la Carmagnole sur le glacis de la citadelle, et de Gertruydenberg : et comme s’il fallait qu’une griserie d’orgueil et de conquête se mêlât aux victoires de la liberté, Condorcet et Delaunay, annonçant dans leur journal la prise de Gertruydenberg écrivent : « Ainsi l’armée des sans-culottes a vengé les injures de Louis XIV ». Mais comme il poussait sa route sur Rotterdam il apprit que le prince de Cobourg s’était porté sur la Ruhr, puis sur la Meuse, avait débloqué Maëstricht, enlevé Aix-la-Chapelle, refoulé les forces françaises surprises et désemparées, et occupé Liège. C’était un coup terrible. C’était la Révolution obligée soudain à la défensive. Mais dans cette crise, la Révolution ne désespère pas d’elle-même et elle ne désespère pas de Dumouriez. Il semble même que son autorité s’accroît de ces revers inattendus. C’est parce qu’il n’était pas là que l’armée de Belgique a été surprise. Lui parti, elle est comme sans âme.

De Liège, le 3 mars, les commissaires de la Convention, Gossuin, Delacroix, Merlin, écrivent au Comité de Défense générale :