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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/243

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Liège, dans Liège où sont réunis tous nos approvisionnements et qui renferme des trésors immenses. Nous ne vous parlons ainsi que d’après ce que dit le général Valence lui-même… Nous travaillons à rallier les fuyards, nous employons tous nos moyens auprès de l’administration provisoire et des citoyens pour que le peuple de Liège nous seconde et supplée à la pénurie de notre armée. Les dangers résultant de cette pénurie sont d’autant plus imminents que l’ennemi est très fort en cavalerie et que nous n’en avons presque pas. »

C’était signé de Gossuin, de Delacroix et de Merlin (de Douai). Vraiment, c’était grave et c’était suffisamment précis. Pourtant le Comité de défense, où dominait l’inspiration girondine, cacha d’abord ces lettres à la Convention. Et voici à quelles proportions le journal de Brissot réduit les événements (numéro du jeudi 7 mars) :

« Une lettre très alarmante des commissaires dans la Belgique était parvenue au Comité de défense générale. Le Comité et le ministre de la guerre s’étant accordés à y ajouter peu de foi, on n’a pas cru devoir la communiquer à la Convention. Mais des membres de la Montagne en ont eu connaissance et ont exigé qu’elle fût lue. Certes, il fallait être complice des Prussiens ou des parieurs à la Bourse pour en demander la lecture. Boyer-Fonfrède a répondu que ce n’était pas parce que cette lettre annonçait un revers, mais parce que le contenu en était peu vraisemblable, que cette lettre n’avait pas été lue, que d’ailleurs le ministre devait faire un rapport contradictoire. Il a ajouté que les commissaires avaient écrit, dans une autre circonstance, que si on n’envoyait pas vingt bataillons à Bruxelles, cette ville allait être en feu ; que les bataillons n’ont pas été envoyés, et que la fâcheuse prophétie des commissaires ne s’est pas réalisée…

« Le ministre de la guerre discute cette lettre (des commissaires) ; il observe que le léger échec que nous avons essuyé sur la Ruhr ne portait pas un caractère aussi alarmant, et ne pouvait pas avoir les suites qu’annoncent les commissaires ; il ajoute qu’il était impossible que les ennemis se portassent sur Liège, puisque la Meuse est bordée de postes bien défendus, que d’ailleurs Miranda et Valence avaient des forces suffisantes pour repousser toute attaque ; qu’il leur avait ordonné de se réunir, et même de livrer bataille s’il le fallait. »

Et Manuel, ce même jour, a des effusions idylliques : « L’arbre de la liberté, c’est un olivier ». Même après la séance du 8 mars, où Delacroix, rentré de Belgique avec Danton, a mis la Convention en garde contre l’optimisme des généraux et du ministre, et exposé nettement la gravité de la situation, le Patriote français, gêné cependant par la précision plus grande des mauvaises nouvelles, continue à atténuer, à voiler les événements. Il n’a pas un seul cri véhément contre l’ennemi, mais d’éternelles déclamations contre « les anarchistes ».