Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/244

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« Si nous avions essuyé une défaite, je dirais que l’adversité est l’épreuve du républicanisme, je dirais que le sort de la liberté ne tient pas à l’issue d’un combat, je dirais que rien n’est perdu, puisque nous vivons encore et que nous sommes résolus à ne pas survivre à la liberté. Mais quelques postes mal gardés se sont laissés surprendre : une ville ouverte a été occupée par les ennemis ; ils ont gagné un terrain qu’aucune position forte ne pouvait défendre, et voilà l’alarme sonnée, et voilà des hommes qui comparent notre situation à celle du mois de septembre, et qui font grand étalage de courage républicain qu’on prendrait pour de la peur ! Sans doute, il faut agir comme si nous étions vaincus, parce que si nous étions vaincus, nous ne songerions qu’à nous venger ; sans doute il faut que les Français fassent un dernier effort dans cette campagne, mais si on veut les y porter en exagérant les dangers, c’est calomnier leur patriotisme et leur courage. »

Dumouriez, lui aussi, aurait voulu tout d’abord se cacher la gravité du péril. Il sentait bien que si on s’affolait ou même si on s’effrayait, on allait le rappeler en Belgique, et il lui était douloureux de renoncer à sa marche conquérante en Hollande, d’abandonner, pour ainsi dire, sa propre victoire pour se replier en Belgique et se débattre péniblement dans la défaite de ses lieutenants. Il essaya, tant qu’il le put, de maintenir son plan.

« Nous recevons en ce moment, écrit Merlin le 7 mars, une lettre du général Dumouriez, datée de Maëstricht, le 4 mars, par laquelle il nous annonce que ce jour-là même, à 4 heures et demie de l’après-midi, il est entré dans la ville de Gestruydenberg. Il ajoute que ce succès doit nous consoler des accidents qui nous sont arrivés, parce qu’il ouvre entièrement la Hollande. Gestruydenberg, c’est encore lui qui parle, est presque aussi fort que Bréda, à cause de ses inondations et de ses ouvrages extérieurs qui le rendent inaccessible. Il nous assure enfin que la continuation de son plan peut seule raviver la Belgique. »

Il dit, dans ses Mémoires, combien il insista dans ce sens :

« L’armée était entièrement découragée ; elle s’en prenait à ses officiers généraux, surtout à Miranda, qui courut même des risques. Cependant le général Valence aidé du général Thouvenot parvint à remettre un peu d’ordre, mais la désertion fut énorme. Plus de dix mille hommes se retirèrent jusqu’en France. L’armée demandait à grands cris le général Dumouriez. Les commissaires de la Convention lui envoyaient courrier sur courrier pour le faire revenir. Il mandait toujours qu’on pouvait tenir dans la position de Louvain, où on avait rassemblé l’armée, et qu’il n’y avait encore rien de perdu, si on lui laissait le temps d’exécuter son expédition. »

Mais la situation était intenable. À vrai dire, il n’y avait plus en Belgique de commandement. Il n’y avait qu’une cohue de généraux en pleine discorde et en plein désarroi, attendant le retour de Dumouriez comme le salut, et immobilisés à Louvain par leur impuissance à adopter un plan commun. Les