Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’est admirable, mais de quel ton le lendemain, dans un article signé de Condorcet et de Delaunay, la Chronique de Paris parle-t-elle de Robespierre, à propos de son opinion sur les émigrés ?

« Quand on ne se trouve jamais ni un sentiment dans le cœur, ni une idée dans la tête, quand aucune instruction ne supplée au défaut d’esprit, quand même on n’a pu, malgré ses efforts, s’élever au petit talent de combiner des mots, et que cependant on veut être grand homme, comment faire ? Il faut bien, à force d’actions extravagantes, mériter, non les suffrages du peuple (il commence à ouvrir les yeux), mais la protection des brigands. »

Ainsi, dans la crise qui s’ouvrait, la Gironde ou affectait de ne pas voir le péril, ou s’enfermait dans le pédantisme de ses haines.

Mais, d’un bond, une partie des révolutionnaires s’était jetée à l’extrémité opposée. Les Enragés, puissants aux Cordeliers et dans quelques sections, grossissaient le danger, affirmaient nettement, comme désormais certaine, la trahison de Dumouriez, et demandaient que les Girondins, complices du traître, fussent chassés de la Convention et livrés à la justice des lois. Les nouvelles des défaites, qui n’arrivaient à la Gironde que d’un pied boiteux, semblaient avoir des ailes pour se hâter vers les violents. Le Patriote français se demande, le 8 mars :

« Est-ce par terreur panique, est-ce par une intention perfide que des malveillants se plaisent à exagérer les mauvaises nouvelles ? On a répandu ce soir avec affectation dans les groupes, dans les sections, que Liège et Bruxelles étaient pris, que l’ennemi marchait sur la France, que Dumouriez était perdu… et ces nouvelles étaient suivies d’exhortations à se défaire des traîtres, à couper des têtes, etc. »

Ce n’était ni panique, ni calcul, mais accommodation naturelle des esprits violents aux événements violents. Et tout ce qu’ils disaient ou était vrai ou allait l’être. Varlet allait partout, soufflant le feu. C’était tout un plan de révolution nouvelle que proposaient quelques sections exaspérées. Il ne s’agissait pas seulement de mutiler la Convention, où des traîtres avaient pactisé avec Dumouriez le traître. Il s’agissait de mettre en tutelle toute la Convention incapable d’une action vigoureuse. C’est le département de Paris, dont les révolutionnaires les plus véhéments auraient disposé à leur gré, qui aurait désigné les députés suspects. La section des Quatre-Nations adressait un appel en ce sens aux autres sections :

« Républicains, voulez-vous être libres ? Voulez-vous sauver la patrie ? Écoutez-nous : nul doute que l’invasion de la Belgique ne soit l’œuvre de la faction impie qui paralyse la Convention nationale et déchire le sein de la République. On reconnaît le complaisant des rois, le héros du camp de la Lune, le traître Dumouriez, au succès de nos ennemis. Les défenseurs de la patrie se lèvent, mais ils jettent au dedans leurs premiers regards sur les chefs de la conspiration ; au moment où il faut agir, ils ne s’arrêteront point à vous