Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sible à l’ennemi de s’enfoncer dans la Belgique. Nous pouvons attester enfin que l’ennemi n’est pas aussi nombreux qu’on dit, qu’il est inférieur à notre armée, que Dumouriez n’est point campé et continue son expédition pour la Hollande. »

Or, pendant que Brissot s’obstinait ainsi, le désastre de Liège, d’où les administrateurs patriotes avaient été obligés de fuir, était connu à Paris, commenté aux Jacobins, et c’est dans la journée du 8 que le Conseil exécutif provisoire, d’accord très probablement avec le Comité de défense générale, informé dans le détail par Delacroix et Danton, décidait de rappeler Dumouriez de Hollande. Décidément la Gironde perdait pied.

Même le grand Condorcet semblait à ce moment s’enfoncer dans sa haine contre Robespierre. Dans le débat qui avait eu lieu à la Convention, le 5 mars, sur les émigrés, Robespierre avait demandé qu’on examinât de près et qu’on renvoyât au Comité des propositions de clémence qui lui paraissaient dangereuses. Il s’agissait des enfants des émigrés ; à quel âge commencerait leur responsabilité ? Quelques-uns inclinaient à les regarder comme irresponsables jusqu’à dix-huit ans.

« Oui, s’écriait Robespierre, c’est une pensée d’apparente humanité, mais lorsque les fils, les filles des émigrés, âgés de seize ou de dix-sept ans, viendront, à l’abri de vos lois, fomenter la guerre civile, quand ils représenteront dans les régions fanatisées la famille absente, quel coup terrible à la Révolution ! Songez, s’écriait-il, que nous sommes en plein combat. »

Et les événements de la Vendée, où les jeunes fils des émigrés, où les jeunes filles même vont jouer un rôle décisif, donneront demain raison aux craintes de Robespierre. Or, c’est par l’outrage, c’est par des paroles méprisantes que Brissot, dans son journal, mais aussi Condorcet lui répondent. On dirait que Condorcet, depuis qu’il a proposé un plan de Constitution, depuis qu’il a entrevu la gloire d’être le législateur révolutionnaire de la démocratie, est tout entier obsédé par cette pensée ; il est à demi indifférent aux événements qui ne se rapportent point à cet objet, et s’il soupçonne en un homme la volonté d’ajourner ce débat, qui seul lui paraît essentiel, il le poursuit de sa haine. Il semble un moment, le 6 mars, qu’il invite les partis à se rallier, à s’unir sous le coup des dangers inattendus qui menacent la Révolution :

« Repousser les tyrans ligués contre nous, donner au peuple français une Constitution qu’il a sans doute bien droit d’attendre après quatre années de révolution, voilà les seuls intérêts de la nation, et les seuls devoirs de ses représentants sont de tout sacrifier à ces grands intérêts.

« Quoi ! l’Europe presque entière est conjurée contre nous, et nous songerions à nos ennemis personnels ! L’édifice national ébranlé demande de tous côtés une main réparatrice, et de petites querelles de partis ou d’opinions nous agiteraient encore ! »