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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/252

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dans l’Europe. Le peuple de Paris, le peuple des départements a foudroyé de son courage invincible les satellites des tyrans. Plusieurs départements étaient envahis par des armées nombreuses et formidables ; nous avons paru, et déjà elles n’étaient plus. Pourquoi tentent-elles aujourd’hui de nouvelles attaques ? Pourquoi n’avez-vous gardé qu’un instant l’espoir de les voir, avec leur prince et la monarchie prussienne, ensevelis dans les plaines de la Lorraine et de la Champagne ? Grâce à leur heureuse destinée, elles ont échappé ; mais le peuple qui les a repoussées existe. »

Il n’est pas jusqu’à cette sorte d’anonymat où il réduit d’abord Dumouriez, le confondant avec la nation même dont il fut le guide improvisé, qui ne protège Dumouriez. Mais le 10 mars, Robespierre se découvre davantage. Il a appris sans doute que Dumouriez a été rappelé de Hollande, qu’il va grouper les forces françaises en Belgique et tenter un retour offensif contre les Impériaux. Comment pourrait-on sans crime le discréditer à ce moment et l’affaiblir ? D’ailleurs, sa haine contre la Gironde trouve hautement son compte à cette apologie, prudente d’ailleurs, de Dumouriez. C’est le Conseil exécutif où dominent les Girondins qui a empêché Dumouriez (du moins Robespierre le croit) d’envahir la Hollande, il y a trois mois, avant que les Impériaux se fussent reformés.

« Le général Stengel est convaincu de trahison, et le décret d’accusation n’est pas encore porté contre lui. Quel est donc l’intrigant qui ne saisira pas l’occasion de trahir la nation française en jouant quelque temps le rôle de patriote et de républicain ?

« Quant à Dumouriez, j’ai confiance en lui, par cette raison qu’il y a trois mois il voulut entrer dans la Hollande, et que s’il eût exécuté ce plan, la révolution était faite en Angleterre, la nation serait sauvée et la liberté établie. (Quelle illusion ! mais il fallait accabler le Conseil exécutif girondin.)

« Dumouriez n’a eu jusqu’ici que des succès brillants, et qui ne me sont pas à moi une caution suffisante pour prononcer sur lui. Mais j’ai confiance en lui, parce que son intérêt personnel, l’intérêt de sa gloire même est attaché au succès de nos armes. Au surplus la République existe, et quelque puissant que puisse être un général, sa faute ne resterait pas impunie ; je ne crois pas que jamais il la pût trahir impunément ! »

Tout en se découvrant cette fois, par devoir patriotique et conscience révolutionnaire, comme Robespierre s’assure, à tout événement, une retraite ! C’est une tactique suspensive et habile, mais qui n’est permise qu’à ceux qui, comme Robespierre, conseillent, critiquent, moralisent, et ne s’engagent jamais à fond dans l’action précise, qui toujours est compromettante. On a dit qu’il y avait en Robespierre quelque chose de félin. Je suis tenté de dire qu’il marche en effet au bord des responsabilités comme un chat au bord d’un toit. Il côtoie l’abîme, il ne s’y précipite jamais. C’est peut-être, en période de Révolution, le moyen de durer un peu plus que les autres. Mais que de-