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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/253

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viendrait la Révolution elle-même, si tous se réservaient ainsi, et s’il n’y avait pas des Danton ? Cette fois, malgré toutes ses réserves, Robespierre se livrait plus que de coutume.

Danton, hardiment, dès le 8 mars, déchire le voile de mensonge dont les généraux, le ministre, les Girondins couvraient le péril. Non, le danger est grand, mais plus grand encore, quand il est averti, est le courage de la nation :

« Il faut des dangers au caractère français pour trouver toute son énergie. Eh bien ! ce moment est arrivé. Oui, il faut dire à la France entière : « Si vous ne volez pas au secours de vos frères de la Belgique, si Dumouriez est enveloppé en Hollande, si son armée était obligée de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d’un pareil événement ? La fortune publique anéantie, la mort de 600 000 Français pourraient en être la suite. »

Ce n’est pas seulement une grande action de la France qui est nécessaire, c’est une action rapide, une action soudaine. Et Danton, ici encore, avertissant discrètement la Gironde de ses erreurs de tactique, montre que c’est le rôle admirable de Paris, d’être le ressort de la force française, le centre qui répond, par des vibrations puissantes et instantanées, au choc des événements. C’est la force de la France d’être ainsi ramassée en un grand cœur qui donne à la vie nationale plus diffuse le temps de se recueillir, de s’organiser. Donc, « il faut que Paris, cette cité célèbre et tant calomniée, il faut que cette cité qu’on aurait voulu renverser pour servir nos ennemis qui redoutent son brûlant civisme, contribue, par son exemple, à sauver la patrie. »

Mais il ne s’attarde pas à récriminer. Il veut seulement passionner les énergies, tourner une fois encore contre l’étranger les forces de la grande ville qui se consumerait elle-même de son propre feu. Et hardiment, comme s’il lui tendait la main sur le champ de bataille, il s’engage une fois de plus envers Dumouriez. Se méprenait-il tout à fait sur cet homme ? Était-il aveuglé ou seulement ébloui ? Je crois bien que de son regard perçant il avait démêlé son égoïsme, son ambition étourdie et frivole, son génie d’intrigue subalterne. Et cela apparaît ici même jusque dans le curieux éloge qu’il fait de lui :

« Dumouriez réunit au génie de général l’art d’échauffer et d’encourager le soldat. Nous avons entendu l’armée battue le réclamer à grands cris. L’histoire jugera ses talents, ses passions et ses vices, mais ce qui est certain, c’est qu’il est intéressé à la splendeur de la République. S’il est secondé, si une armée lui tend la main, il saura faire repentir nos ennemis de leurs premiers succès. »

C’était sa maxime qu’il fallait utiliser les passions des hommes, et non point s’obstiner en vain à les arracher. Une âme pleine d’énergie, même trouble et équivoque, était une grande force. Et Danton se croyait capable,