Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/255

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« Quoi ! tu es républicain, et tu te plains des dénonciations faites contre toi ; mais si ta conscience te rappelait un instant qu’elles ne peuvent qu’honorer l’homme qu’elles ne peuvent atteindre, tu n’en parlerais pas. Convaincu qu’elles ne sont que trop fondées, tu les cites pour parer les coups qu’elles peuvent te porter ; mais est-ce te dénoncer faussement lorsqu’on a dit que tu devais chasser les ennemis au delà du Rhin, et que tu ne l’as pas fait ? Est-ce te calomnier, quand c’est un fait qu’on met en avant ? Je sais bien que tu te rejettes sur le défaut de fourrage, sur le dénûment de munitions où se trouvait l’armée ; cette excuse semble te dénoncer elle-même ; car quelle différence fais-tu du soldat cantonné au soldat combattant ? Or, si, par les soucis des nouveaux administrateurs, il n’a manqué de rien au sein du repos, peux-tu dire que la subsistance lui eût manqué au milieu des combats ?

« Si je voulais tourner contre toi-même les armes dont tu te sers, je te dirais : ce dénûment dont tu te plaignais, à qui peut-on l’attribuer ? à Malus, de la tête duquel tu voulais détourner la responsabilité pour la placer sur la tienne ; car c’était lui qui, à l’époque de ton entrée dans le pays de Liège, avait la surveillance sur la régie des vivres et sur celle des fourrages.

« Quoi ! tu es républicain, et tu oses dire que de la honte ou de la gloire d’un individu dépend la gloire ou la ruine de la République ! Crois-tu donc que parce que tu es déshonoré en ne secondant pas l’ardeur des soldats, la République française en soit moins respectable ?

« Tu te plains des commis de la guerre. Est-ce parce qu’en rapprochant et les mesures que tu pouvais prendre, et tes opérations, ils mettent le public à portée de te juger ?

« Protecteur nouveau, tu veux indiquer à la Convention nationale les changements qui sont à faire dans les ministères comme dans les administrations ; mais penses-tu qu’en cédant à tes haines particulières elle mette un instant en balance ton intérêt personnel et celui de la République ?

« Enfin, à chaque instant, tu parles de tes succès, et tu sembles vouloir cacher derrière lui l’armée entière à qui tu les dois. Crois-moi, quand on n’a qu’une branche de laurier pour s’appuyer, elle peut casser ; alors ses feuilles ne peuvent plus ombrager le front du vainqueur qui s’en parait… »

Le 29 janvier, Marat revient à la charge en publiant une lettre à l’Ami du Peuple :

« Vous êtes certainement le premier qui ait ouvert les yeux sur le coquinisme de Dumouriez, sur ce vil intrigant qui n’a joué le patriote que pour soustraire ses vues ambitieuses, qui s’était fait pourvoyeur de nos armées pour assouvir sa cupidité, et qui voudrait, aujourd’hui qu’il est gorgé d’or (prix honteux de ses concussions et de ses brigandages), reprendre le commandement des armées de la République pour s’ériger en petit souverain et se faire élire duc de Brabant.

« Quoique vous nous l’ayez peint plusieurs fois d’après nature, je doute