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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/254

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par la force plus grande encore de son tempérament et de son génie, de maîtriser ces consciences incertaines, de les jeter à la Révolution : la fournaise en nourrirait sa flamme et rejetterait les scories. Noble orgueil audacieux, que je préfère à l’orgueilleuse prudence de Robespierre ! Danton savait que pour tirer de Dumouriez et de son armée tout l’effet utile, il fallait qu’une parole de confiance ardente et pleine allât au général assailli peut-être de tentations obscures, aux soldats dont la foi ne devait pas chanceler. Et à ses risques et périls, Danton se portait caution.

Il alla même jusqu’à couvrir, en quelque mesure, les généraux surpris sur la Ruhr, comme s’il eût voulu limiter le plus possible le soupçon de trahison.

« J’ai donné, dit-il, ma déclaration sur Stengel. Je suis bien éloigné de le croire républicain. Je ne crois pas qu’il doive commander nos armées. Mais je pense qu’avant de le décréter d’accusation, il faut qu’il vous soit fait un rapport ou que vous l’entendiez lui-même à la barre. Il faut de la raison et de l’inflexibilité ; il faut que l’impunité, portée trop loin jusqu’à présent, cesse. Mais il ne faut pas porter le décret d’accusation au hasard. »

Et la Convention se rallia à son avis.

On pouvait croire que Marat, qui si souvent avait dénoncé Dumouriez, allait profiter de l’événement pour l’accabler. Mais Marat, au contraire, s’unit à Robespierre et à Danton pour prévenir la panique, et il déclara que dans la crise soudaine qui venait d’éclater, Dumouriez devait garder le commandement, qu’on ne pouvait le lui enlever sans désorganiser l’armée, que ce serait folie et trahison. Ce n’est pas qu’il eût interrompu ses attaques. Il les avait au contraire continuées en janvier et février. Il publie, à la date du 24 janvier, une lettre injurieuse à Dumouriez, envoyée de Liège :

« Ils sont passés ces jours où gonflé des succès des armées sous tes ordres, couronné sur tous les théâtres, et célébré par mille voix mercenaires, tu pouvais dicter des lois à la Convention nationale, mais aujourd’hui que l’ennemi, placé en deçà du Rhin, cache aux yeux des Français la toile où sont crayonnées tes victoires, crois-tu pouvoir lui dire avec quelque assurance : « Quand même ma santé ne m’aurait pas forcé de demander un congé, je me serais toujours rendu à Paris, pour y démêler la cause de la désorganisation de nos armées. »

« Et à qui donc faut-il la rapporter cette désorganisation ? À toi seul.

« Oui, un instant d’ambition t’a fait envahir le pays de Liège, et deux mois de vues particulières t’y ont arrêté. C’est du séjour que tu y as fait que vient cette désorganisation ; fier des succès qui ont couronné sa bravoure, le soldat voulait, pour ainsi dire malgré toi, placer le Rhin pour barrière entre la France et ses ennemis, et tu t’y es opposé. Attaché à un parti qui voulait par des escarmouches journalières détourner les vrais défenseurs de la patrie du centre commun des intérêts de la République, le tien était de les tenir toujours en haleine pour leur faire oublier que Louis le traître avait existé.