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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/271

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Enfin, comment des hommes légers, selon lui, et inexpérimentés, osaient-ils substituer leur initiative à la sienne dans l’application des grandes mesures réclamées par lui ? Oui, il avait dénoncé Dumouriez. Oui, il avait écrit le 29 janvier : « Si nous voulons ne pas être éternellement victimes des trahisons des chefs de nos armées, ouvrons donc enfin les yeux et comprenons une fois que c’est le comble de la folie de mettre à la tête des soldats de la liberté les ennemis de la liberté, et de faire commander des troupes révolutionnaires par les ennemis implacables de la Révolution. Aussi, renvoyons sans ménagements et généraux et officiers connus pour être des créatures du despote supplicié, des suppôts de l’ancien régime ». Oui, il avait dit plus récemment, le 12 février, que Dumouriez était « évidemment vendu au roi de Prusse ». Et hier encore il dénonçait ses intrigues et ses trahisons. Mais de quel droit des écoliers malavisés ou de fourbes interprètes compromettent-ils son système par l’application la plus maladroite, et demandent-ils la révocation de Dumouriez, juste à la minute où cette révocation serait un pire désastre que toutes les trahisons possibles du général ?

Ainsi, en ces premiers jours de mars, Marat était uni de pensée et de cœur à Robespierre et à Danton, et ces trois hommes étaient assez puissants par leur accord pour préserver la Révolution des terreurs folles et des emportements. Tous trois, ils déclaraient criminel et détestable de toucher à Dumouriez en pleine crise militaire. Tous trois, ils voulaient autant que possible ajourner les querelles intérieures, et même détourner de la Gironde les haines violentes et meurtrières qui commençaient à gronder, pour concentrer dans un suprême effort de défense nationale toutes les forces de la Révolution. Tous trois, ils étaient d’accord pour exciter le patriotisme révolutionnaire par une action plus directe de la Convention. C’est Danton qui propose d’abord d’envoyer des commissaires dans toutes les sections de Paris, et la proposition est étendue aussitôt à tous les départements, dans la séance du 9 mars. Sur un bref et vigoureux rapport de Carnot qui appelle au danger toute la jeunesse républicaine, la Convention décide :

« Des commissaires tirés du sein de la Convention nationale se rendront sans délai dans les divers départements de la République, à l’effet d’instruire leurs concitoyens des nouveaux dangers qui menacent la patrie, et de rassembler des forces suffisantes pour dissiper les ennemis.

« Les commissaires seront au nombre de quatre-vingt-dix, lesquels se diviseront en quarante-et-une sections. »

C’était une prodigieuse force qui allait jaillir. Marat, Robespierre et Danton étaient unanimes aussi à armer la colère du peuple de moyens rapides de répression, pour épouvanter les contre-révolutionnaires, et pour arracher le peuple à la tentation du meurtre désordonné. C’est dans cette double pensée de répression terrible et de légalité révolutionnaire que la Convention, par des décrets rapides du 9 et du 10 mars, crée le « tribunal criminel