Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/28

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Marat a traduit cette impression avec une assez grande force, non sans un mélange trouble d’orgueil et d’humanité.

« C’était un spectacle bien nouveau et bien sublime pour le penseur philanthrope que celui d’un despote, naguère environné de l’éclat de sa pompe et de l’appareil formidable de sa puissance, dépouillé de tous les signes imposants de sa grandeur passée, et traduit comme un criminel au pied d’un tribunal populaire, pour y subir son jugement et recevoir la peine de ses forfaits. Le règne des préjugés serviles est donc enfin passé ? Oui, il l’est sans retour, même pour les classes du peuple qui avaient été les plus avilies par le despotisme, et chez lesquelles la réflexion pouvait le moins faire éclore le sentiment de la dignité du moi humain, car les tribunes ont vu paraître l’ex-monarque sans donner le moindre signe d’approbation ou d’improbation ; j’aurais dit avec la plus parfaite indifférence, si elles avaient pu être indifférentes au jugement d’un tyran.

« Que devait-il se passer dans l’âme de l’ancien despote des Français, traduit en criminel devant une assemblée de ces hommes, sur lesquels il dédaignait autrefois d’abaisser ses regards, de ces hommes qu’il appelait : mes sujets, de ces hommes qu’il laissait morfondre dans ses antichambres lorsqu’ils venaient demander quelque grâce, de ces hommes que d’insolents valets, couverts des couleurs de la servitude, repoussaient avec dureté, insultaient avec audace, et opprimaient impunément ? À en juger par son air et son maintien, on le croirait insensible au changement de sa fortune et aux dangers de sa position. Hé quoi ! la perte d’un trône brillant et de tous les plaisirs d’une cour voluptueuse n’est donc rien à ses yeux ! On pourrait le croire d’après la manière dont il en jouissait lorsqu’ils étaient en sa possession. Combien de fois, cédant à un goût naturel, n’a-t-il pas quitté ces délices qui font l’objet des désirs de tous les cœurs ambitieux, pour vaquer aux pénibles travaux des arts les plus grossiers, comme si l’instinct, en dépit de l’orgueil, l’eût ramené à la place que lui avait destinée la nature !

« On doit à la vérité de dire qu’il s’est présenté et comporté à la barre avec décence, quelque humiliante que fût sa position ; qu’il s’est entendu appeler cent fois Louis Capet sans marquer la moindre humeur, lui qui n’avait jamais entendu résonner à ses oreilles que les noms de Majesté ; qu’il n’a pas témoigné la plus légère impatience tout le temps qu’on l’a tenu debout, lui devant qui aucun homme n’avait le privilège de s’asseoir.

« Qu’il aurait été grand à mes yeux dans son humiliation, s’il avait été innocent et sensible, et si ce calme apathique fût venu de la résignation du sage aux dures lois de la nécessité ! »

Mais déjà, après le 10 août, après l’internement au Temple, les esprits commençaient à être blasés sur ce grand spectacle de l’histoire. Et rien, dans la séance du 11, ne renouvela l’émotion. L’acte d’accusation était d’une teinte un peu grise. Barère dirigea l’interrogatoire avec convenance et dignité.