Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/29

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sans obséquiosité et sans insolence ; mais, pour éviter sans doute l’apparence d’un débat entre l’accusé et lui, il se bornait à poser les questions sans presser Louis XVI, sans essayer de lui arracher ou une explication ou un aveu. Louis XVI, d’autre part, faisait des réponses très brèves, oui ou non, ou bien il disait d’un mot que les faits qui lui étaient reprochés regardaient ses ministres responsables.

Il s’expliquait avec une sobriété prudente comme s’il eût craint de laisser échapper des propos compromettants, et il réduisait, pour ainsi dire, au minimum la surface offerte à l’ennemi. Pas une fois il ne se découvrit par un geste hardi et fier ; et cette rencontre du roi et de la Convention eut je ne sais quoi de médiocre et de placide. Au fond, chacun sentait que cet appareil judiciaire était un peu vain, et que des raisons politiques, des raisons d’État décideraient la sentence, l’inclinant à la clémence ou à la sévérité. La Convention écoutait, dans un silence absolu.

« Souvenez-vous que vous êtes des juges. » Mais ce silence était, si je puis dire, un silence de parade. Ce n’était pas le recueillement de l’esprit inquiet : c’était une formalité toute extérieure et une sorte de convenance. N’arriva-t-il pas au Président de dire (c’est quand Louis XVI comparut de nouveau) : « Qu’aucun murmure ne s’élève ; nous sommes ici à une cérémonie funèbre. »

Ce n’était pas un vivant qu’on jugeait ; c’était, pour beaucoup de juges, le cadavre de la royauté et du roi qu’on exhibait avant de le clouer à jamais dans le cercueil. Le roi, par son effacement, semblait acquiescer à cette sorte de mort tacite. Ce n’est pas qu’il manquât de courage et de fermeté, il répondit avec une tranquillité de visage et d’accent qui attestait une sorte d’impassibilité d’âme ; et cette placidité un peu molle, en face de la mort, n’était pas tout à fait sans grandeur. Ce n’est pas non plus qu’il eût fait dès lors et sans réserve le sacrifice de sa vie. Il est difficile à l’instinct de conservation d’abdiquer tout à fait, et il est ingénieux à susciter l’espérance. D’ailleurs, les lenteurs mêmes du procès, les divisions des partis, les hésitations visibles de la Gironde pouvaient suggérer au roi l’idée que des chances de salut restaient encore. Et c’est peut-être pour les ménager qu’il se livrait le moins possible et s’abstenait de tout éclat. Au demeurant, il manquait d’audace. Il n’avait pas, quoiqu’il fût assez irritable, ces mouvements de passion profonds et soudains qui, tout à coup, font éclater les habitudes de réserve et de prudence, et jaillissent en un cri émouvant.

Peut-être aussi portait-il la peine d’avoir été roi. Le pouvoir absolu supplée, par l’appareil de terreur et de majesté dont il enveloppe le souverain, à l’effort de la personne. Faire un grand effort personnel c’eut été, pour Louis XVI, avouer qu’il n’était plus roi. Toujours, dans sa bonhomie discrète et un peu terne, il y avait eu l’orgueil de la royauté. Et il ne renonçait pas volontiers à cet orgueil indolent.