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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/292

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public s’appelle Fouquier-Tinville. Il est de ceux que le Patriote Français cite complaisamment.

De même, dans l’effort de Danton pour concentrer la force révolutionnaire, pour organiser le pouvoir exécutif, elle affecte de ne voir qu’une manœuvre de prétendant à la dictature. Le gouvernement nouveau, s’écrie-t-elle, était tout préparé.

Le Patriote français dit, le 13 mars, à propos de la séance du 11 :

« Ils ont cru qu’il ne s’agissait plus que de monter au trône ; déjà ils s’étaient partagé les branches du pouvoir, leurs complices colportaient complaisamment la liste du nouveau Conseil exécutif. Danton était ministre des affaires étrangères ; Dubois-Crancé, de la guerre ; Jean Bon Saint-André, de la marine ; Thiriot ou Cambacérès, de la justice ; Fabre d’Églantine, de l’intérieur, et Collot d’Herbois des contributions. À la vérité il leur fallait encore un décret : mais ils allaient l’exiger, ils le croyaient rendu. Danton monte à la tribune, sûr de son succès ; il demande que la Convention se réserve le droit de choisir les ministres dans son sein. Nous y voilà, s’écrièrent quelques membres ! Personne ne doutait que Danton ne voulût être le premier de ces ministres ; on en douta bien moins encore, lorsqu’on l’entendit jurer par la patrie, que jamais il n’accepterait une place dans le ministère. Danton, jurer par la patrie ! la patrie d’un ambitieux ! Il m’a semblé entendre un athée jurer par l’Être suprême. »

Ainsi les Girondins dénaturaient les plus nobles efforts de Danton pour arracher la Révolution au chaos et à l’impuissance. Ainsi, ils accusaient de prétendre à la dictature et même au trône quiconque, hors d’eux, voulait organiser contre les ennemis du dedans et du dehors la force révolutionnaire tiraillée et dispersée.

Hélas ! c’est par là que la Gironde se perdit. Si le peuple, un jour prochain, se décide à lever la main sur elle, à l’exclure de la Convention, c’est parce qu’elle lui apparaît comme une force toute critique et négative, anarchique au sens profond du mot, et paralysante. De même que l’action vigoureuse d’un tribunal révolutionnaire pouvait seule arrêter la justice spontanée du peuple, de même l’action vigoureuse et concentrée d’un pouvoir révolutionnaire homogène pouvait seule épargner à la Révolution la politique de désespoir qui, tout à l’heure, réalisera l’unité par extermination.

Mais voici où éclate l’étroitesse de cœur et la légèreté d’esprit de la Gironde. La Convention a décidé l’envoi dans les départements de 82 commissaires. Ces commissaires auront une terrible tâche et une terrible responsabilité. Ils devront partout hâter la levée des trois cent mille nouveaux soldats dont la France a besoin. Ils devront aussi braver tous les mécontentements et violenter tous les égoïsmes. Il faudra qu’ils enflamment le patriotisme sans lui communiquer ce degré de fièvre où commence le délire. Il faudra qu’ils pourvoient à l’approvisionnement du peuple et des armées, qu’ils sur-