Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/312

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toutes les femmes citoyennes sont conduites en prison ; mais le moment n’étant pas venu, on les fit sortir.

« Ces scélérats se partageaient déjà les propriétés des citoyens. L’un d’eux disait un jour à sa femme : « Tu te plaignais de faire ta métairie à moitié, hé bien ! je te la donne ; je viens de tuer le propriétaire. »

« Ils disaient qu’ils combattaient pour la foi, et les prêtres, pour les encourager, leur persuadaient qu’ils iraient droit en paradis, s’ils mouraient en combattant, et en enfer si c’était en se sauvant ; et que, d’ailleurs, s’ils avaient de la foi, les balles ne les atteindraient pas.

« Charette et l’ancien vicaire de Machecoul, sachant que l’armée de Beysser était en chemin, craignaient que cette nouvelle ne jetât l’alarme parmi leur troupe ; ils imaginèrent un moyen pour arrêter la désertion. Le prêtre crie au miracle ; il s’associe un vieillard sur lequel il avait fait tirer quinze coups de fusil à poudre, et ces deux scélérats courent de rue en rue, en disant qu’une prieure de la communauté, morte depuis plusieurs années, leur a parlé. On les questionne ; le prêtre dit que la sainte a recommandé qu’on ne tuât plus personne qu’au combat, et qu’elle a assuré au vieillard, au-devant duquel elle s’est placée lorsqu’on le fusillait, que tous les Bleus mourraient dans la journée du 22. Le commandant Charette fait allumer des cierges autour de la tombe de la prétendue sainte ; on se met à genoux, le prêtre pose la main sur la pierre tombale, et il s’écrie qu’il la sent se soulever. Aussitôt on crie au miracle, on fait des prières, et cette fanatique cérémonie finit par une invitation à revenir le lendemain chercher les paroles de la sainte, écrites derrière une petite Vierge nichée au mur. Quelles étaient les paroles de la sainte ? La liste de toutes les femmes patriotes qu’on devait assassiner avec leurs enfants dans la nuit du 22… »

C’est, depuis l’origine, la même supercherie criminelle attisant le fanatisme et la cruauté. Les missionnaires de Saint-Laurent, on s’en souvient, faisaient promener sur les murs des chapelles des ombres magiques. Et bientôt les chefs vendéens, désirant avoir avec eux un évêque pour donner plus d’élan aux paysans crédules, permettent à un aventurier, Guillot de Folleville, de se dire évêque d’Agra. Il est désavoué par un bref du pape. Les chefs vendéens cachent au peuple cette lettre, et Guillot de Folleville continue à parader avec sa crosse dorée. Quel mépris pour les simples ! Et quel mélange monstrueux de mensonge et de férocité !

Dès les premiers jours de l’insurrection, et par un mouvement à la fois dispersé et concerté, les insurgés s’emparent du district de Challans, en Vendée, de Cholet, dans l’Anjou, et ils occupent si fortement les abords de Nantes que toutes les communications sont coupées entre la grande ville révolutionnaire et l’Ouest. Leur plan était d’occuper solidement les villes, et de s’emparer de celles de la côte, pour assurer le débarquement des Anglais. Ils n’attendent pas, pour appeler l’étranger, d’être ou acculés ou affolés par