Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tranchantes au point qu’en remuant les bras les malheureux prisonniers se coupaient les poignets.

« Parmi les paysans, et habillés comme eux, étaient des ci-devant nobles des deux sexes (selon une lettre au Moniteur, parmi les « furies de Machecoul » il y avait trois filles de La Rochefoucauld habillées en paysannes), beaucoup de prêtres réfractaires, entre autres un ancien vicaire de Machecoul nommé Drion (je le nomme parce qu’il faut que les monstres soient connus comme les héros). On l’invita à dire la messe dans l’église. « Non, dit-il, elle n’a pas été purifiée depuis que le curé constitutionnel en est sorti. » Mais que fait-il ? Il fait dresser un autel dans l’endroit même où l’on avait massacré presque tous les citoyens ; il y dit la messe les pieds dans le sang qui coulait encore ; le bas de son aube était sanglant, et il finit par le Domine salvum fac regem.

« Depuis le vendredi 15 mars jusqu’au lundi 23 avril, à peine se passa-t-il un jour qui ne fût marqué par des assassinats. Pour les légitimer en quelque sorte aux yeux de ceux qui commençaient à s’en lasser, Charette écrivait des lettres qu’il s’adressait à lui-même ; tantôt c’était de Nantes, tantôt c’était de Paris. La veille de Pâques, il lut en public une de ces lettres prétendues, dans laquelle on lui marquait que tous les prêtres sexagénaires, détenus dans la ville de Nantes, venaient d’être saignés à la gorge. Dès le lendemain, cette ruse barbare eut l’effet qu’il en attendait. On se porte aux prisons ; 24 de nos malheureux frères sont assassinés le matin et 56 le soir, et ces anthropophages disaient en soupant : « Nous nous sommes bien décarémés aujourd’hui ! »

« Ils n’assommaient plus, mais ils attachaient les prisonniers à une longue corde qu’on leur passait au bras (les brigands appelaient cela leur chapelet) ; puis on les menait dans une vaste prairie où on les faisait mettre à genoux devant un grand fossé. Ils étaient fusillés ; ensuite des piquiers et des assommeurs se jetaient sur ceux qui n’avaient pas reçu de coups mortels.

« Le citoyen Joubert, président du district, eut les poignets sciés avant d’être assassiné ; il le fut à coup de fourches et de baïonnettes.

« Ces barbares ont enterré des hommes vivants. Un jeune homme de dix-sept ans, nommé Gigault, s’est soulevé de dessous les cadavres enterrés avant lui ; mais, n’ayant pas assez de force pour aller loin, il fut bientôt repris et assommé. On voyait encore, le 23 avril, dans cette prairie qui a servi de tombeau à tant de braves et malheureux citoyens, un bras hors de terre, dont la main, encore accrochée à une poignée d’herbe, semblait celle d’un homme qui avait voulu sortir de la tombe.

« Ces monstres avaient assommé dans Machecoul 542 citoyens, et tant de victimes ne suffisaient pas encore à leur fureur, ils voulaient détruire les femmes, et, pour y parvenir, Charette s’écrit encore une lettre de Nantes, où on lui mande que sa femme vient d’être massacrée dans cette ville. Aussitôt