Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/326

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dut abandonner le champ de bataille. Elle se replia, maintenue encore en assez bon ordre par le général vaincu qui prodiguait son activité et son courage comme s’il n’était pas déjà résolu à la trahison. Ah ! quelle dut être la douleur de Danton, à ce coup qui semblait remettre en question toute la partie qu’on pouvait croire gagnée ! Mais il n’y a en ce grand cœur ni défaillance, ni amertume, et il garde assez de force d’âme pour admirer tout haut ce qui se mêlait d’intrépidité et d’élan à la félonie de Dumouriez. Il ne craint pas de dire à la Convention, le 1er avril :

« Il faut que vous sachiez que ce même homme, en manifestant son opinion contre la Convention et contre le peuple français, ce même homme, dis-je, par une singularité étrange, par un reste de vanité militaire, était constamment, nuit et jour, à cheval, et que jamais, tant que nous avons été dans la Belgique, il n’y a eu deux lieues de retraite qu’il n’y ait eu un combat. »

Dumouriez se répand en propos offensants et menaçants. Il déclare que la Convention est un ramassis d’imbéciles conduits par des scélérats. Il déclare qu’il faut en finir avec l’anarchie et rétablir l’ancienne Constitution, celle de 1791, c’est-à-dire la monarchie tempérée.

Mais pour pouvoir marcher sur Paris, il faut qu’il ne soit pas inquiété par l’armée ennemie. Le 25 mars, il retient à déjeuner le colonel Mack, envoyé par le général autrichien, le prince de Cobourg, pour négocier au sujet des blessés. Il s’ouvre à lui de ses desseins et obtient la promesse que le prince de Cobourg annoncera, dans une proclamation, qu’il suspend les opérations de son armée pour permettre au général français de rétablir l’ordre et les lois. Grande fut la colère du souverain autrichien quand il apprit que Cobourg était entré dans la voie des négociations et avait paru garantir l’intégrité territoriale de la France à la condition que l’autorité légitime y serait rétablie. Les appétits de l’étranger étaient éveillés par ses premiers succès ; et il ne lui suffisait pas de royaliser de nouveau la France, il voulait la démembrer. « Déjà, s’écriait l’empereur d’Allemagne, roi de Bohême et de Hongrie, déjà Dumouriez a joué les alliés par des négociations perfides lors de la campagne de l’Argonne. Il ne nous dupera plus. » Mais il fut aisé au prince de Cobourg de déchirer son engagement, car Dumouriez ne put réaliser son plan et marcher sur Paris.

Il jeta bien le gant à la Convention en arrêtant les commissaires qu’elle avait envoyés vers lui pour le sommer de paraître à sa barre. Il saisit Camus, Lamarque, Quinette, Bancal et le ministre de la guerre Beurnonville, son lieutenant d’hier, et il les livra aux Autrichiens, sous prétexte d’avoir des otages qui répondent de la vie de la reine pendant qu’il marcherait sur Paris. Mais il eut beau aller dans les camps haranguer lui-même les soldats, envoyer quelques-uns de ses officiers pour prendre possession, en son nom, de Lille, de Valenciennes, les soldats étaient troublés, hésitants. La Convention, par ses commissaires de la frontière du Nord, fit répandre, dans l’armée